La Colombe et la Brisure Éternité. Poème et symbole.

Guernica de Pablo Picasso. 1937. Le tableau évoque et exprime le bombardement massif, soutenu, impitoyable de la ville basque de Guernica et de sa population civile, au printemps de 1937, par les aviations nazies et fascistes (allemandes et italiennes) durant la guerre civile espagnole. Ce tableau est doué d’une grande force évocatrice et transcende les époques. (Le tableau original est bleu, noir et blanc; plus bas, je reproduis le tableau avec les teintes originales. Source en cliquant sur l’image.)


Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs, contre nous, endurcis …

… Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

François Villon


Dessin attribué à Picasso (Source en cliquant sur le dessin).

Ce poème évoque
le cruel symbole
de la colombe
et de la brisure éternité.

Recueillez-vous.
Portez attention.

*

Son envol est majestueux.

La courbe gravie par elle de ciel en ciel
dessine la mire du diable.

La nuit s’éprend d’elle et la broie
mais le sang qui en coule est divin.

Les arbres fruitiers parlent de la colombe au vol souple.
La nature l’attend dans les pas cadencés de l’homme.
L’amour a des sentiers de falaise à gravir.

Le repaire s’enhardit à des crimes pervers.
De plus en plus pervers.
C’est la brisure éternité de la colombe, la grande marque de lumière aux flancs galonnés du ciel.

Au pied des monts qu’elle parcourt d’une aile tendre coule un torrent de poésie.
L’amie qu’elle traîne sous son ombre de palier en palier grimpe les escaliers blancs où le soleil contient, explose.

La cigale crie son désespoir strident, sa joie craquante, son cri de rage-amour, son chant de feu vibrant.

La colombe connaît les mailles vibrantes du feu.

Mais parce que la haine comme un feu de blessure habite le grand corps d’automne et nous tourmente, le ciel n’a pas laissé couler ses eaux tendres, et dans le sillage de mon oeil s’inscrit en lettres de mort la colombe et la brisure éternité.

Il n’y a plus qu’un hurlement de mort que nul n’entend.

Alors, cette fois, que sa carcasse délicate aimante toute l’horreur du monde.
Que le crime prenne enfin l’essor et souille les cieux.
Que le blanc de ses plumes se tache de sang et qu’elle geigne.
Qu’elle batte de l’aile et tombe en tournoyant
pour que la perversion du coeur savoure toute la nuit qui l’enclôt.

Que sa délicatesse soit traînée dans les terres froides et duveteuses.
Que l’on signale aux bourreaux obsédés ses tournoiements d’âme à l’agonie.
Que la serpe la tire au sol et la troue, l’écrase.
Qu’elle saigne abondamment son extase et qu’on n’en parle plus.
Que la haine règne enfin dans la paix étrange de son éternel retour.
Que la colombe brisée, écrasée, encore suintante de feu rouge, soit le dernier délice de la mort qui grimpe dans nos coeurs.

Que la colombe se brise dans l’ardeur soutenue de la haine qui broie, défait, déchire.
Car elle s’envole au moment où je tombe et j’envie sa clarté.
Piétinez-la vigoureusement.
Qu’elle trépasse et que l’automne embarque nos coeurs dans ses vents détestables.

Cette citadelle de froid est imprenable.
Venez, oiseaux perchés dans les zébrures de la malédiction, voler sur ma tête d’où je vous jetterai sur le monde.
La colombe est tombée pour l’éternité et vous la poursuivrez de noirceur et de haine dans ses remous d’abîmes jusqu’aux confins mortels des passereaux.

Écoutez la vérité sublime des nuits froides, des jours sans soleil.
Puisque tu n’es pas là mon âme, ton absence engendre les démons et les couteaux aigus.
Puisque tu n’es plus là avec la haute pureté de ton amour, la haine t’embrasse, te transperce
et te pourchasse jusqu’aux confins de la vengeance, jusqu’au massacre des oiseaux.

Car il faut qu’un couteau pénètre ton coeur trop aimé.
Je te hais pour l’éternité.
Je te massacre sans fin et tes plumes si douces volètent dans l’air violenté.

Tu ne connaissais pas l’abondante cruauté du cri de ceux qu’on tue du haut du ciel.

Tu ne connaissais pas la froideur du tonnerre dans la nuit, la grande aubade de feu sombre, la larme qui tinte comme un acide
sur les galets
et qui coule
sur les grands autels noirs
dressés par les pouvoirs.

Tu es pour toujours la noire et insondable absence et ce chant est le chant du mal qui en naît.

La haine sera chantée
jusqu’à l’épuisement des sources,
jusqu’à l’ouverture du cri qui dissout le message,
jusqu’à la montée intrépide du sang.

Rien ne remplacera jamais dans le ciel dément que rien n’orne la courbe gracile que tu dessinais dans le regard.

La mort a pénétré ta joie de son fer et la haine a bu tout ton sang.

La haine, le grand chant de la mort, t’emportera dans l’automne.

*

C’était le poème et le symbole
de la colombe
et de la brisure éternité.

Recueillez-vous.
Portez attention.

Montréal 1976-1977 –  Saint-Zénon 2010


Notes

La première version de ce texte m’est venue au milieu des années soixante-dix.

En le relisant au cours des années 2000s, j’ai compris que je ne pouvais plus l’assumer à la première personne (je ne suis pas un archétype) et je l’ai en partie ré-écrit.

L’essentiel de ce que je veux dire ici, c’est que ce qui s’exprime dans ce poème n’est pas moi et me dépasse. Tout simplement.

La première version de ce poème avait été publiée sous le nom de “Jacques Renaud”, en 1979, dans un recueil de textes poétiques en prose intitulé La Colombe et la Brisure Éternité.   J’ai donné ici au texte une forme versifiée – ça épouse et souligne mieux les rythmes.

Les bons sentiments ne font pas la poésie, les mauvais non plus, on le sait, et le fait est que si l’on commençait à vouloir “sélectionner les inspirations”, on risquerait de se fermer aux profondeurs de la conscience et d’appauvrir l’esprit en l’enchaînant à la “rassurante surface des choses” – si tant est qu’il existe encore, aujourd’hui, une “rassurante” surface des choses…

De toutes façons, qu’on le veuille ou non, même la surface des choses est profonde.

La surface des choses, c’est la peau du monde, l’emballage mouvant, l’épiderme universel, – et les secousses les plus cachées, les plus secrètes, la font vibrer.

On peut être sourd – mais ça ne m’a pas été donné.  Chacun ses dons.


© Copyright 1976, 1979, 2010 Hamilton-Lucas Sinclair (Loup Kibiloki, Jacques Renaud, Le Scribe), cliquer


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Guernica de Pablo Picasso — 1937.


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