Vénus et la Mélancolie

Fragment de La Primavera, Le Printemps, d’Alessandro Botticelli.


Loup Kibiloki  ( Jacques Renaud )

Vénus et la Mélancolie

poésie

texte revu et réécrit par l’auteur

 


Montréal, 29-30 août 1977.
Montréal, 19-20 janvier 1980.


 

Autres suites poétiques :   Les Enchantements de Mémoire  –  Sentiers d’Étoiles  –  Rasez les Cités  –   Électrodes   –   Le Cycle du Scorpion  –   Le Cycle du Bélier  –   La Nuit des temps  –   La Stupéfiante Mutation de sa Chrysalide



© Copyright 1981, 2009 Hamilton-Lucas Sinclair ( Loup Kibiloki, Jacques Renaud, Le Scribe) – cliquer pour lire les conditions d’utilisation. Entre autres: toute exploitation commerciale interdite.


Le texte de cette suite poétique parle parfois au masculin, parfois au féminin, la voix glisse, de l’un à l’autre genre, souplement, sans heurt.

À certains endroits, les deux voix se différencient nettement.

Le phénomène n’a pas été «voulu» par moi. Dès l’origine, le poème s’est écrit ainsi.

Il y a quelque chose de mâle-femelle, d’hermaphrodite, de «fusionnel» – mais aussi de «différenciant» – dans la respiration ou le rythme de ce poème.

Chez les Grecs anciens, Vénus s’appelait Aphrodite, et Mercure s’appelait Hermes. Hermaphrodite, mâle-femelle, naquit de l’union de Hermes (ou Mercure) et d’Aphrodite (ou Vénus).

Après coup, des années plus tard, cette suite poétique, Vénus et la mélancolie, me semble être une expression du mythe de la polarité mâle-femelle.

On peut aussi lire le court article suivant: Aphrodite, Hermes, Hermaphrodite — Vénus, Mercure, Mercuravénus.

 


 

1

La vie te harcèle.

Tu bouillonnes, tu cries vers le soleil:
tu me heurtes, tu me rends triste et fou.

Le gargouillis niche en tes jupons.
Léchure de brebis qui te lisse –
et le chien-loup que tu attises et qui aboie
et qui courtise ton émoi.

Ton goût d’air pur a libéré des hymnes.
II n’est plus d’amertume au fond de tes colères.
II pleut des dieux de diamant dans ta couronne.
Des trous d’amour et de lumière ont parachevé tes cheveux.
Dans la tendresse de ta bouche, ils arpentaient ton bruit de noces et de crotales.
Tu dresses ton corps de platine et de plaine,
tu me heurtes, tu me rends triste et fou.

Tu aspirais aux toits vibrants.
Tu as grandi.

2

Tu as grandi.
Je vois ta fenêtre ouverte sur la mer.
La pluie tombe sur ton casque percé.
La rougeur du couchant a placardé tes pieds.
L’ardeur te troue. Tu es brisée. Boisée.

Le son, le bel ourdi vient de la mer.
II court sur les plages. II essaime, il aime, il crie;
c’est la conque, l’oint de la joie-racine qui te ramène en mon discours.

Et ça parcourt les signes, et ça écrit. C’est toi. C’est moi.
C’est MoiToi. À quatre bras.

Ton ardeur auscultait la nuit, faisait lever les fonds de la falaise.

Tu gravis les pentes bénies, le champ d’étoiles.
C’est la libération des esprits.
Le champ plein, sans faille, de toute l’âme.

Tu as gravi les pentes bénies,
planté tes rocs et tes plantes sur les sommets.
Tu as gravi la pente abominable, tu as tout saccagé.
Tu as meurtri mon coeur, tu as abandonné l’enfant dans ses langes.
Maintenant ta noirceur te noie dans la nuit.

Te voici tirée vers le bas pour y payer la rançon des étoiles.
Te voici dans la brûlure des descentes.
Te voici conviée à la mort qu’ils pressentent.
Ils.
Les pressenteurs.

Le poulpe grouille et joue dans la mer.

Tu meurtriras ses flambées de boue noire, ses passions éphémères.
Tu rugiras sur lui, poulpe des fonds marins.
Tu l’emprisonneras dans tes pompes.
Tu l’étourdiras dans les fonds.
Tu régneras.
Tu sauras que ce n’est qu’un jeu
mais tu régneras.

Tu aimeras.

3

La moribonde, dans les surplis des mers, médite.
L’eau abondamment ruisselle dans la mer.
Je jouis sans frein, d’être.
L’eau fraîche sous les ormes tinte.
L’eau fraîche de l’amour, ombré sous l’arbre des autans.
Dorénavant c’est le vent qui commande du fond des mers
et tu creuses en moi tes rivières.

Je t’aimerai toujours.
Rouge fontaine de chaleur.
Tu te mires en mes cheveux.
Les embruns du fleuve postillonnent
et pulvérisent sur nous de l’or.
Souviens-toi d’antan.
Souviens-toi du paradis.
C’est notre vraie demeure.
Il n’en est pas d’autre.
C’est la demeure universelle.
Envahie par les brutes.

Ton amour a vibré dans la chair.
Tu l’as marquée pour de longs cycles de durée.
Tu l’as marquée jusqu’aux profondeurs de ses moelles.
Tu m’as fait naître de la mer, tu m’as trompée sur le rivage,
tu m’as fait naître de la mer, tu m’as tirée des goémons et des marées,
tu m’as tirée de l’eau salée qui me gardait
et tu t’es envolé aux cieux.

La chasse au mâle est commencée.
Il se dresse en moi.
Il opine.
Il tue. Il transperce. Il regarde. Il regarde!
La course éperdue est féroce, minutieuse, butée!
Ici, la chair vibrante de l’été.
Tu me connais. Tu m’as aimée. Tu viens en moi.
Je suis ouverte sur le champ.
Mille soleils.
C’est toi qui m’envoie ce monde?
C’est moi qui t’envoie ce monde?
Des saignements pastels! Qui crie?
Le criquet du message.
Le bruit d’une aile minuscule.
Le chant du désir coudoie mes angoisses et mes spasmes.

4

La boue versée sur le talus.
Je vis souple sous ces pailles cendrées
si confortables où tu me prends, où tu m’inondes le bassin.
Bénis le dieu docile qui vit au large de l’ardeur.
Pénètre en moi de tout ton coeur.
Mes cuisses fortes d’autres hommes.
Mes cuisses lisses d’autres eaux.
Pénètre en moi de tout ton coeur
que je me heurte à ma vraie mort,
à mon vrai port,
à mon vrai sort,
dans les taillis de la verdeur.

La suie vibrante m’inocule.
Je suis forte de noirceur.

Le beau temps asperge de mort les feuilles.
Si c’est l’automne, je ne crains plus ces firmaments d’un bleu trop clair.
Je suis si près de l’arbre des (autans) (naissances).
Il me porte en ses feuilles de mort.
Mon corps est une robe de couleur.
L’arbre me porte dans la vie, la mort.
Il me porte dans la nuit profonde.
La terrible nuit des temps.
La longue nuit des temps.
La grande nappe de l’océan-délice.
Écarlate, sillonnée de cycles.
L’arbre m’annonce le grand bris sacré.
Tu m’as appris la fine syntaxe du son du vent dans les branches.

Je bénis les leçons des entrailles.
L’océan des longs pénibles enfantements.
Je bénis la tristesse abondante en ma tour.
Elle me noie de ses effluves.
La douceur de ton absence a envahi les terres
et mes musiques
et tous mes instruments.

5

Je bénis la tristesse abondante en ma tour.
Elle goûtait la nuit. Ça goûte bon, la nuit.
La bonne terre ouverte où s’est endormi le dément.
Le vieil arbre est fruitier, il donne, nous le savons tous.
La mer me caresse sans fin dans les treillis de l’eau,
les anguilles se glissent dans les épaves,
venues des profondeurs sans fin;
dans le silence des épaves elles glissent leur ombre sans fin.
J’ai mal.
Dans la salive immense de Dieu.
Dans ses fanons, ses colonnades.
Merveilles dans les nuits.
Dans les puits.
Je suis née.
Mais.

Il me manque le corps de l’amour, la ferveur de ton âme.
Je veux que survienne la ferveur de l’âme,
je veux l’âme,
mourir,
l’âme
montant du centre du désir
(dans le silence béni des ormes que le vent porte).

6

Tu me hisses vers l’arbre des autans. Leur vol. Leur vol.
Là-haut, conquiert sa mort celui qui déjà descend,
celui qui vient vers moi dans mon enfer bouillonnant,
dans ma puissance entière.
Il me vient dans la larme du vent.
Il me vient avec des cris perçants, le beau vautour de mes tourelles.
Il me vient, l’ébranlement.
Où l’amour vautre ses doux excitements de nuit.

Je suis dressée en toi, ma chair, toi, l’héroïque marcheur.
Tu me portes en ta barbe de neige,
en tes mains de princesse,
en tes colliers de pierres des champs,
en ta vie insondable et plastique,
en toi,
moi-même.
Écroulements.
Drapeaux.
Tuniques.
Il ne restera rien.
Il ne reste que l’enclume où marmonner ma tête,
où manoeuvrer sous l’aile des oiseaux.

Le rire des hirondelles.
La ferveur du lys coupé gisant au fond d’elles,
au fond de tes prunelles,
au fond du sein blanc.
À tes pieds, il ne reste que les gisants de mer qui miroitent.
Ce bonheur m’accable.
Il vibre.
Il est indéfinissable.
Intranscriptible
tel que tracé
dans les myriades de points, de droites et de courbes du parcours.

7

Le fruit qui pend dans ta blouse percée
croule un matin dans la venelle.

Ce court moment est enveloppé d’or.

Je suis morte un matin dans ta prunelle et je n’ai pas voulu pleurer.
Mire un peu ton regard dans la sécheresse des iris:
des paumes s’y posèrent un jour,
et du feu de leur chair me firent voir le fond des nuits.

8

J’aime la parabole dure,
celle qui dit tout d’un trait hideux,
puis, comme une main douce,
pose la corne dans le feu.

9

La pluie tombe
et fait sonner le carillon bleu du temps.
J’attends,
triste,
que tu reviennes de tes chasses enfiévrées.

J’attends.
Non.
Je ne suis pas triste.
Je me suis simplement trompé d’humeur.
Les émotions sont des hochets qui captent des ondes, des myriades, des choses.

10

L’abondance de l’eau ruisselle à mes hanches.
Elle ennivre la coureuse des mondes.
L’eau soûle.
Mon amie te boit.
Je peux savoir qui me voudra jusqu’à la fin,
qui me harponnera,
qui me vaincra,
qui me craindra,
qui aimera porter sur moi la main divine, le son ferme.

Le fer et le velours.

Le feu t’enfante par la vulve de mer.
Tu renaîtras poisson;
emporté par la cataracte universelle,
tu viendras dégringoler dans mes bras
et nous mourrons encore tous les deux
dans un poudroiement d’épices,
et un assourdissant tintamarre de vaisselle.
Nous allons mourir. Encore. Ensemble.
Nous allons mourir. De rire.
Et nous allons revenir.
Par la vulve lisse.
Par la vulve bénie.
Par la vulve maudite.
Par la vulve.
Ou dans un oeuf de requin.

Je te transmets tout mon pouvoir, tout mon amour.
Mère. Océan-Mère (douleur de temps).

Le pouvoir m’est donné de régner pour toujours,
du fond des nuits,
dans tes entrailles et sur ton coeur.

11

Des abîmes d’amour mêlés de boue dans mon ventre grouillent.
Je sens la pression de la vie molle des effluves (écluses).
La vie des recluses au fond des terres.
Fleurs dans les sources
et germes de mort dans d’obscènes charniers.
Vas-tu, une fois pour toutes, calculer la clé?

12

Tu le sais bien.
Tu comprends ce cri de larmes dans le ventre.
Poseras-tu ta main dans la candeur de ma tourmente?
Ta main de fauve roux? Ta main douce de fauve?
Ta main?

13

Indiciblement bon et empoisonné.
Tout est mêlé.
Le récurrent.
Et cette boue
qui m’enveloppe
si fermement
les pieds.
En t’attendant.
Toi m’attends.
Moi t’attends.
Tout attend.
Et tout est.

Allons-nous encore,
Moi et toi, mourir de rire?
Allons. Un petit effort. Dis oui, que je dises non.
Anodes-moi, que je te cathodes.

______________________________________________
Viens toucher mon anneau du bout nu de ta bouche.
Viens dans le noir, viens faire l’autruche.
Tout le jour, ont coulé des eaux de vies.
Viens que m’aère l’émotion tendre du baiser.
Qu’un chant léchant lave mon cul de sa chaleur.
Viens. La guerre est à la porte. Tu entends les épais flappements d’ailes?
Où est Dieu? Dieu est partout. Et c’est terrible de l’entendre
dans les épais flappements d’ailes des connards venus d’ailleurs
pour massacrer la chair, pour étriper les coeurs.

Calcule le grand chiffre de l’invinciblité,
c’est un chiffre divin que l’on peut calculer.
Prends soin de nous.
Oui. La respiration. Sans fin.
L’ardeur tranquille d’un dragon.
Nous vaincrons.
______________________________________________

Qu’un chant aimante les bouillons, qu’il me caresse et qu’il m’aère.
Qu’un chant sillonne le pardon.
Qu’il m’introduise en mes enfers et me conduise au fond des nuits.
Viens, de ta main, vider le corps, ouvrir le coeur qui te rayonne.

Mon coeur est un réseau d’hormones.
Ma gorge, un réseau de son-sang.
Mes yeux, mon âme: une dégorgie.
Le i, la lumière qui nous fend. Rugit, surgit, rit.
Le i, l’épée, la route des nuits.
Le cri strident. Le i des nuits.
Grand cri strident de Cristalie.
Découpe. Découpe la nuit.
Temps d’i.

Remplis ta tâche de boueur,
sois le vautour incandescent,
meurtris tes rêves sans racines.
Meurtris.

Viens voir la nuit, pleine de mort.
Mais regarde! Pourquoi venir sur terre si on ne regarde pas?
Sans toi elle se remplit de mort.
Sans ton regard de compassion, l’horreur pullule.
Viens dans le lit des rivières.
Là, file un sang noir fait de pleurs et de fiel.
Infiltre divinement.

Si tu acceptes.

Rien ne t’y force.

On peut encore mourir de rire pendant des millions d’années si ça te chante.

Ouvre ton coeur sur la mort qui s’augmente.
Je sais. C’est une baudruche. Mais justement. Viens voir la nuit. Elle ronge ton corps.
La nuit, elle s’augmente de toi. Elle segmente.
Et elle adoucit.

Moi, dans ces fleuves qui roulent la mort, je suis.
Et tu vas me faire le plaisir de te plaire. Toi, c’est moi. Moi, c’est toi. La roue tourne.
Cycle spiraloïde. Jamais même, toujours cycle. Fusionnés. Nés-Nées.

14

Non, tu ne sais pas ce que tu tais.
Tu ne sais pas, tu ne sais pas ce que tu fais.
Tu ne sais pas combien tu me hais.
Tu ne sais pas
qu’au fond de la mort
je m’augmente,
ton fruit.

15

Prière.
C’est le temps de prier.
Poses tes pieds sur le dos de mes cuisses.
Moule tes pieds contre le vitrail mou.
La harpe lentement meut mes hanches et mes bras.
C’est la mer.
Ou la symphonie.
Je n’ai plus de corps.
Je suis dans la lumière.
Ramène-moi dans mon corps.
Lentement.
Doucement.
J’ai quelque chose à te dire.
J’ai quelque chose sur le feu.

16

Me dirent les choses qui meurtrissent.
Viol de mer.
Grands démons victorieux meurtrissent la robe, déchirent le cou.
Le i perdu, parti très loin, dans la nuée du son, dans son labyrinthe karmique
et son inexorable courbe de retour.

Dieu! que ce son est aigu! Il troue. Il coupe. Il fend. Trouves-en un autre!

L’oeil dégorgi, ouvert, déjeté.
Aveugle. Je te sens. Aveugle.

Je te fuis dans le fond de ton monde.
C’est la clé: il n’y a pas de fuite.

Iront chercher ta main chez toi.
Ta main.
Et me l’apporteront.
Avec toi au bout.

Ils ont meurtri le coeur. Meurtri. Meurtri.
Ni tout rose. Ni tout gris. Ni tout rouge.
La vie est un invraisemblable arc-en-ciel,
un incroyable sourcil
exilé dans la lumière frontale,
exilé de sa lumino-caverne infinie.

17

Que mon coeur périsse
dans le soir des rivières.
Une idée comme ça, que tu mouds en un immense éclat de rire –
et le soir des rivières devient un orgasme
où l’on glisse comme des enfants roulant sur un radeau de pluie.

Saigne, saigne. Mais ce n’est pas du sang.
C’est de la lumière.
On s’est trompé.
On a glissé dans le son
et on reforme le monde,
on le refait.
Quel est le chiffre du sang? Tu as calculé?
Ne le calcule pas. Calcule le chiffre du mot «sang». C’est de là que ça vient.

Il faut calculer tous les mots et trouver.
Pourquoi?
Parce que tu m’aimes. Tu m’aimes, alors calcule tous les mots, voilà.
Les mots se moquent du temps.
Oui? Non? Dis quelque chose. Dis un chiffre.

18

J’ai acquis dans ton ventre la parole qui tue.
Plonge le dard pointu dans la balonnée morte.
Fuis.
Rédime.
Contacte.

19

C’est toi qui écris et qui parle.
C’est moi qui écris et qui parle.
C’est toi qui écrit et qui parle.
C’est moi qui écrit et qui parle.
Quarante. Deux cents. Même. Moi. Toi.
MoiToi a quatre bras.
Cent neuf. Deux cents soixante-neuf.
Ah, le beau 17! Je l’savais!
Tu aimes l’eau? La nuit? Tu aimes mes seins?
Je connais la réponse mais j’aime tellement la question.
Tu en as caché un. Tu t’es trompée. C’est 18!
On s’est trompé l’un l’autre?
Oui. Sauf que moi, j’ai dit la vérité.
La vérité de Moi est 10.
Et celle de Toi?
17!

Il est rare qu’une erreur contienne autant de vérité!

20

Ce bonheur qui m’accable.
Indicible douceur.
Ce chant qui ronge, paradis.
Orties brûlantes.
Il jaillit.
Il monte.
Grand gargouillis de larmes.
Gargouillis.
Le lointain bonheur du coeur très profond,
le silence,
l’immobile néant. Calcule «néant».

Des fêtes de la mer-mère.
Océan pur-sel,
pur-cristal,
où je décède pour le fun.

Morte-mort.
Mort-morte de rire.
Pure mort-morte et si noire,
noyée dans les rivières du pardès.

21

Bassin mûr d’eau-comète, comète.
Rouge aurore n’est pas douce, pas douce.
Ma vie fut métamorphosée en aigle.
Ma vie fut harponnée par le feu-poudroiement-de-vie.
Ma vie fut envahie par la lumière.
Par le mystère et ses vitalités qui tuent.
Mort-morte de vie, de rire.
Un vent d’amour a brûlé mes paupières.
Je veux que ça recommence.
Ensemble. Moi. Toi.
On a tracé le chiffre.
Le chiffre va créer. Attache tes cheveux. Laisse courir les montures.

22

La rose fut cueillie un matin dans les plaines où la suie collait encore aux doigts.
La suie collait à l’oeil du capitaine et il montrait l’oiseau de proie.
L’oeil bleu de ce grand capitaine n’offrait l’asile à nul émoi.
Il était beau de mille peines, on le voyait tourner sur un cheval de froid.
Il était beau de mille peines, on le voyait tourner sur un cheval d’effroi.

Ce matin où la rose fut cueillie,
parmi les orties calcinées,
sur la terre battue par la mort,
elle revint,
la forte-douce,
du fond des mers,
du fond des morts,
en souriant.

Je la pris dans ma course mobile et la baignai dans mon cercueil.
Il faisait chaud, il faisait doux
et je la laissai courir la ville en quête de rires et de  gueules.
Elle vivait dans mon giron.

Ce fut la fin des éperviers, le début des hérons,
l’eau vive courait dans les treilles du vert,
la ville reprenait ses pulsations de mer,
l’amour grandissait et ouvrait au mystère.

Il fut donné, encore, de la connaître.

23

Le monde est un écran qui craque, qui ne tient plus.
Envahis par la nuit, tel est le monde, telle est ma vie.

Les courants noirs qui brillent dans la mer.

La vie des basses métropoles.
La vie des villes fumigènes.
La vie des villes qui défilent au fond des limbes sans rouspéter,
remplies d’entrailles –
ou sans entrailles?
Explore.

La route est ouverte (vases et parfums abominables).
Je pourris, je trébuches dans mes trous, mes ouvertures tyranniques.
Le chien jappe.
Happe et lappe.
Le loup me revient, m’inquiète, me ravit.
Mille chagrins de stases, parfois sans «ex», parfois sans «en».
Mille caresses dans les noirceurs de la vie-mère.
De la pie-mère.
Porte ouverte aux voleurs.
La boue suinte, la boue des villes dégoulette.
Bourrante boue dorée dans les cercueils.
Résurrection des mémoires.
Veillera l’empire sur les sens et lui dictera la ferveur.
Monter des fonds de l’amour-feu avec l’épouse dans le silence de l’ozone.
Vêtements frais dans les cours brunes qui piaillent.
La Ville.
La grande Vile.
La vie.
Gluante de marmots.
La beauté des plages.
Dur ornement d’eau.
Doux repos d’algues.
Les chagrins des ruelles.
Les plaisirs des ruelles.
Les crimes des ruelles.
Les joies des ruelles.
Le paradis des ruelles.
Les pommiers des ruelles.

On ne voit plus les étoiles.

Courants d’ailes étoilées dans le taureau.

Le pied dans la luzerne tord les fibres.
La maîtresse entre dans les chaussures de l’épouse.
Son regard est érectile.
C’est la Ville.
La grande Ville.
La vie.
La pie.
La mue.
La Mère.

Le pied des morts parsème l’herbe au gré du vent.

Médite sur la roue qui engrène les heures, médite, médite infiniment.
Médite sur la roue qui engrène les coeurs.
Médite sur l’azur, l’azur mitré de hardes;
couché, je vois se profiler les grands taudis du ciel
et je rêves du Nord et du transsibérien.

Rayon cruel, tu crèves le dos des hirondelles.
Viendra l’enfant fidèle qui venge l’eau, les oiseaux;
celui qui détruira l’Amérique et l’Europe? Et tant de choses.

Minuit criard brime l’écho.
Les cycles d’ailes des hirondelles disparues hantent encore les grilles des prisons.
Ces mots, ces mots fourbis de miel.
Ô que respire la cigogne, l’oiseau, l’immensément!
La mère est ternie. Le père pacifie l’aube. Mère chérie ternit l’aube.

Ton oeil fendu crie,
fendu par l’épée d’i.
L’épée du cri de Cristalie. Contrée brisée, réduite en miettes.
L’i strident strie ton oeil.
L’oeil. La Ville.
La grande Ville. La vie.
Couché, à la fenêtre, je vois se profiler les grands taudis du ciel
et je rêves du Nord et du transsibérien,
je rêve d’invasion luxuriante et d’asphalte arrachée,
je rêve de forêts, je rêves de buildings rongés comme des falaises
par la mousse, les grimpants, les milliers d’espèces de plantes,
je rêve de ciment, lentement, irréversiblement,
rongé par les racines des épinettes, des mélèzes,
rongé par l’armée résineuse et fidèle des conifères.

La pluie se jette contre la vitre et tue.
Encore.
Cest la Vie, la Vie sans fin, la Ville, la grande Ville.
Il joue.
Il jouait.
Le soleil l’a cuit.
Il pèle.

24

C’était un conte en mon enfance. Ça s’était inventé.
Des mirlitons nous canardent de pierres inusables.
Inusables.
Le loup divin vient nous sauver
en dévorant les mirlitons qui voulaient nous faire cuire.

Loup divin route amie route mit le divin dans la tombe (qui craque).
Parmi les coulées mirifiques
qui prenaient maintenant leur essor vers les cieux,
dans la respiration (resporation) des tombes
et la mélancolique austérité (aspérité) des aïeux,
montait la pomme qui rassemble.
En un seul jus.
Le vrai jus fruité de l’éclair.
Le goût de pondre la merveille (dans les puits).

Le chat roulait ses dents sur ma paume
comme des petites perles.
Il regardait
la scène immonde.
Il regardait.

Toute la vie ruisselait dans les mains de la source,
dans les ombres,
les mousses,
les sillons de la rue,
les coulisses,
les coulisses du port.
Jusqu’à bruire.
Bruire.
Tout doucement dans la coulée des manoeuvres.
Bruire.
Il y avait encore des arbres.
Les feuilles.
Les feuilles: un long poème alanguissant.
Qu’un vent doux m’ouvre tes prairies, oeil de Ville.
Parfum qu’amour me tend par la nature comme une perche fraîche et invisible.
Poussière dans les feuilles.
Poussière dans la ville.
Cest le sang.
Le sang.
Qu’il faut chiffrer, rechiffrer, pour en connaître les mystères.

Colère-amour ruisselle au bord du temps.

25

Qui osera, de front,
combattre le furieux roi des dromadaires qui emberlificotte et pense?
Qui fera peur au dromadaire en chef qui récuse l’alliance
et bat dans la mélancolie?
Qui permettra que l’on abuse de sa trempe et de son cri de gris meneur?
Ce dromadaire a mis sa patte dans ta bombe desséchée.

Tu prendras ton trou avec ton frère
et ses lapins et tu meurtriras la race et l’algonquin.

Non. Non! Et que ça retentisse! Je suis là pour rétablir l’antan!

Minute par minute l’eau ronge et le temps fuit.
Rien ne perd.
La mise dernière est un montant élevé.
La mise est au bord des larmes qui sondent la brise, la bise.
Le champ des martyrs.
L’écho du peuple, le cou pogné dans la mourante économie.
Fabriquez des ouragans,
des cris,
de grands cercueils de taule,
des étouffoirs.

Mises à pied continuelles.
Arpentez les brebis. La chair à canon.
Laissez mourir les demoiselles dans leur nid.
Mais ne soyez pas trop féroces.
Car votre temps viendra aussi.
Et ce sera sans merci.
C’est écrit.

26

Le sang coulant dans les brebis de la dentelle.
Le prix féroce qu’il faut payer durant la nuit.
Je détruirai le fond opaque de la nuit où m’ont tiré ceux qui obsèdent.
Ils m’ont glissé comme une bombe dans leur sein.
Ils m’ont fait choir comme un feu dense dans leur sein.
J’ourdirai du fond des morts le cri venu de la blessure.
L’ouragan viendra briser leur coque ronde et leurs sourires de papouins.

27

Cette boue qui prend, craque un matin de soleil.
L’ami des ouragans, des festins, savait:
c’est le moment du grand vent, du grand frisson.
Remerciez le ciel de ses dons.
L’envie d’ouvrir par le travers
l’intransigeant pénis de Dieu!

L’image abonde et le baiser de son mystère.
Je suis un corps taillé, sensible aux souffles forts (nés de ta race).
Tu marchais depuis, depuis, sous la pluie morne qui couvre l’horizon.
Je te commandais d’être champêtre, de tirer ton épingle du jeu vil de ces lois.
Le fleuve de l’émoi.
Une épingle jetée (par mégarde)
brille de tout son or.
C’est l’aiguille magique des amitiés de bardes
qui transcendent l’espace et le temps.

Je connais.

J’explore les sortilèges.
Par silence, par son, par image, par métaphores, par croissance de conscience.
Floraisons des fonds d’âme.
Le soleil les tisonne dans leurs courants, leurs pompes.
Amour-soleil.
Marquez le pas, dieux des fanfares, venez mourir à nos oreilles,
venez dieux des jupons, dieux des calottes de soleil.

Les jupons-roues.

La motte éclate de soleil.

28

L’amour descendait, filtré par les fanons des bêtes.
Il remontait.
Il filait d’écueil en écueil à la vitesse du soleil.

C’était,
parmi tant d’autres,
un bonheur parfait.

29

Fruit de la dalle et mort américaine,
près de la bave d’eau ruiselle.
C’était l’étal de mon boucher.

Creusez dans la marmaille américaine.
Il pleut.
C’est l’Américain tué qui geint dans la corneille.
Creusez.
C’est la merveille américaine.
Près de la bave d’eau lissée.

Un bond fou du côté des serpents qui verdissent.
Les bruits de bondieux qui glapissent.
Plus rien ne viendra tuer ta liberté d’écartelé, toi l’éboueur du vieux langage.
Tu dormiras les yeux ouverts
dans la conscience du touriya.
Rien ne ternira plus ton océan,
tonne océan,
ensanglanté.
Ils verront paître, à la fenêtre, l’ouragan.

Pris de parlure, ils courent dans les roches.
Qui les plaindra?
Ils dorment du sommeil champêtre des vaches.
Elles sont sacrées.

Je veux un saint pour mon amour.
Je veux un saint dans mon atour.
Un saint porteur de la pitié.
Un saint rayon de gravité.
Un saint qui rit,
un saint qui pleure et qui grandit.
Un saint porteur du bénitier pour mes barquettes,
pour mes chaloupes minuscules,
un saint rempli de la plus saine compassion.
Un saint venu du fond des masses.
Un saint de miel.
Un saint léger.

En attendant, l’été,
j’abreuve les grands lions de l’astral
et je médite sur la souple et mystérieuse discrétion
de leurs délégations de chats.

30

Ils se maintiennent et se cramponnent.
Mirifiques dalles où le talon se mire dans son crime de pas,
dans sa butante aise de crapaud.

Ils verront bien le mot qui parle dans ma bouche.
Il a le poids du grand rire et du miel.
Toutes les possibilités mortelles.
Toutes les possibilités vermeilles.
Il joue dans la rue. La ruelle.
Il jaillit de son terrier fragile et furibond.
Il est parfum, ortie, il a vécu.
Il pleure encore dans la dentelle des épis
(par le cri de l’oiseau que la cage burine).

Le cri chapeautant le poème est un paratonnerre dément.
Il axe le pourtour de la masse magique et la déverse dans les vents,
dans les champs,
dans les gens.
Il crie sans arrêt son infra-son «crois-meurs».
Il crie son dernier spasme vengeur:
la tour tombée, américaine.

À corps perdu dans l’enceinte béate,
rien n’arrête plus le poids ténu de l’écarlate,
rien n’arrête plus le poids ténu de l’or qu’il tire en s’abîmant:
il allait vers elle, vers son coeur, son bonheur:
Vénus et la mélancolie.

 

Montréal, 29-30 août 1977.
Montréal, 19-20 janvier 1980.


Autres suites poétiques :   Les Enchantements de Mémoire  –  Sentiers d’Étoiles  –  Rasez les Cités  –   Électrodes   –   Le Cycle du Scorpion  –   Le Cycle du Bélier  –   La Nuit des temps  –   La Stupéfiante Mutation de sa Chrysalide



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