La métaphore du chalet au bord du lac (1). La violence virtuelle au coeur du doux. Le doux virtuel au coeur de la violence.

2020-2030.  L’immanence semble vouloir accoucher d’un volcan. L’explosion est à fleur de conscience. Ça sent l’horreur, la folie, la guerre. 

Alors, cette méditation …

 

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« L’harmonie du monde est par tensions opposées, comme pour la lyre et pour l’arc. » — Héraclite, Fragment 51 (pdf). Source: Philoctetes.

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D’abord, la métaphore. Celle du chalet au bord du lac.

La grande tranquillité de ses boiseries. On y dort en paix. En toute sérénité.  S’il est un endroit où l’on peut parler de paix et de douceur sans arrière-pensée, c’est bien là. On s’étend sur la véranda, on s’enfonce en douceur au creux d’une transe. La paix.

Et pourtant. L’incroyable quantité de violence qui entre dans la construction, dans la constitution de ce chalet paisible et serein est effarante. Le contraste peut être saisissant. Certainement frappant. 

Par exemple. En vrac (nomenclature incomplète):

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Violence dans l’abattage des arbres. Violence des outils qui déchirent la chair de l’arbre bord en bord. Lourdeur souvent brutale du transport, même le plus respectueux de l’environnement. Violence dans l’équarrissage des troncs d’arbres. Le sciage. Violence dans l’enfoncement des clous dans les planches.

Violence dans l’extraction du métal et dans les traitements successifs, à partir des hauts-fourneaux juqu’à l’usine, rien que pour obtenir les clous. Violence assénée à chaque clou enfoncé. Violences multiples faites au bois déjà scié à pleines dents-de-scie et transformé en planches. Extraction du ciment, transport du sable, broyage, cassage, brassage.

Souvent des années de travail acharné pour accumuler l’argent permettant d’acheter le terrain, les matériaux, — le tout ponctué d’une ou deux faillites, — et donc d’un ou deux divorces ou séparations douloureuses, et alors la peine, la dépression, le coup de poing sur la table, la remontée, la bataille de la vie reprend, puis c’est la reprise de la construction du chalet…, etc., etc., etc.

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On pourrait poursuivre ce genre d’énumération ad infinitum en analysant avec minutie tous les réseaux d’activités connexes à ceux mentionnés plus haut et qui aboutissent à la production du “chalet au bord du lac”.  À la limite, on a l’impression que l’univers entier y passerait — et, au fond, on n’aurait pas tort.

Chose certaine, le paisible chalet au bord du lac est le résultat d’un processus que la violence imprègne en toutes parts et de partout. Cet écrin qui nous borde et nous enveloppe de douceur et de paix, ce chalet, est le résultat d’un processus de violences multiples infligées ou reçues — violences multiformes, sonores, physiques, matérielles, psychologiques, morales, etc.

Et seule une violence, d’intensité comparable à maints égards, peut détruire le chalet ou même, simplement, le déconstruire.

En attendant, celle ou celui qui repose dans la béatitude de son chalet jouit du fruit des violences et des auto-violences dont une mince partie a été évoquée plus haut.

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Si celui qui repose dans la béatitude du chalet est lucide, il sait que “l’univers devient [se manifeste] par les contraires”, — comme le disait si bien le vieil Héraclite, — et ce jusque dans les moindres interstices de la paix et de la vie de celui qui jouit doucement du chalet.

La paix est enveloppée, sous-tendue, imprégnée de violence assoupie. Une violence devenue virtuelle. Une violence virtuelle, et dont la majeure partie des gens n’a pas conscience. La paix est imprégnée des semences dormantes de la violence.

L’inverse est également vrai : la violence et la fureur sont enveloppées de paix virtuelle, sont imprégnées des semences dormantes de la sérénité qui en naîtra. Comme par une sorte de magie constamment recréée, d’état en état, de phase en phase, d’époque en époque, par un ballet de contraires toujours vivants, qu’ils soient actualisés et dominants et soumis aux lois du temps — ou endormis et soumis, aussi, aux lois du temps. Selon l’époque. Selon une sorte de volonté immanente.

 

À suivre :  La métaphore du chalet au bord du lac (2). Lili Marleen, ou l’arc enrobé par la lyre.

 

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[  Les notes qui précèdent, profondément révisées, ont été d’abord écrites dans les années 1990s quand j’habitais Ottawa.

On trouve parfois une copie de ces notes originales, divisées en trois parties, sur certains sites web, sous le pseudonyme de Jocelyn Waller.

Un long extrait des notes originales a été publié en 1999 dans le No 83 de la revue littéraire montréalaise Moebius, toujours sous le pseudonyme de Jocelyn Waller.]

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About Jacques Renaud

Écrivain.
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