La métaphore du chalet au bord du lac (2). Lili Marleen, ou l’arc enrobé par la lyre. Le doux virtuel au coeur de la violence.

2020-2030.   L’immanence semble vouloir accoucher d’un volcan. L’explosion est à fleur de conscience. Ça sent l’horreur, la folie, la guerre.

Alors, cette méditation … ( suite de La métaphore du chalet au bord du lac (1) )

 

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« Toutes les guerres commencent bien avant le premier coup de feu et se poursuivent longtemps après le sifflement de la dernière balle.» — En exergue du film There be Dragons, 2011. (« All wars begin before the first shot is fired and continue long after the last bullet has done its job.»)

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L’état présent est toujours imprégné du contraire, de l’inverse, de ce même état présent. Méditez sur ce phénomène de la Deuxième Guerre Mondiale : le phénomène Lili Marleen.

Originellement, la chanson «Lili Marleen» était une marche militaire bien scandée et chantée que Goebbels avait commanditée. Une de plus. Pourquoi pas. Les paroles de cette marche militaire provenaient d’un poème écrit durant la Grande Guerre (la Première Guerre Mondiale) par un soldat allemand.

Mais après le lancement de cette marche militaire commanditée par les autorités nazies, la marche en question se transforma graduellement en mélodie lancinante, romantique, en une chanson profondément nostalgique, émouvante (elle m’a toujours profondément ému, inexplicablement), chantée par les soldats Allemands — mais pas seulement par eux, justement — au point où les autorités nazies tentèrent, finalement, d’interdire la mutante qui suggérait maintenant aux militaires le désir du retour au chalet au bord du lac. Mais trop tard. Peine perdue.

Lili Marleen était devenue déjà, pour les combattants de camps opposés, bien avant la fin de la guerre, un métaphorique chalet au bord du lac. La lyre se manifestait autour de l’arc. L’arc libérait sa soeur, la lyre, et ils dansaient ensemble, les larmes aux yeux.

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Une loi des cycles traverse les choses, trame les choses. En fait, il faudrait parler de «spirales», plutôt, et non de «cycles».

Un cycle est un cercle, et ce dernier suggère l’idée d’un éventuel retour, constant, aux mêmes endroits, passant par les mêmes points exacts déjà parcourus maintes fois sur la courbe fermée, entraînant un “éternel retour” aux mêmes et exacts “endroits du temps” (une expression qui n’a pas de sens, je sais, — le temps, en réalité, trame tout mais “n’est nulle part”, ce n’est pas de l’espace).

Les spirales, elles, par leur nature, en se déployant, ne repassent pas par les mêmes et exacts points déjà parcourus. Les spirales se déroulent et s’enroulent dans des espaces proches de certains parcours déjà empruntés et qui rappellent, par “l’odeur”, le passé, qui rappellent ce passé par des types de comportements qu’on observe, par certains types d’événements, etc., — mais sans reproduire ce passé exactement, détail pour détail, sans reproduire ce passé littéralement.

Le temps spiraloïde, qui coud les états de choses, jamais ne repasse exactement au même endroit mais il traverse de mêmes ambiances. C’est ce qui permet à certains types psychologiques, par exemple, d’identifier les signes de la croissance, du déploiement, de la décadence d’une civilisation.

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Revenons à la violence virtuelle.

Dans les périodes de paix, la violence virtuelle n’est pas “passée” (au sens où elle aurait disparu “dans le temps”, au sens où elle serait “morte”) : la violence est, en fait, “entrée en virtualité” au sein même de son contraire. La violence s’est faite silencieuse. Mais elle n’a pas sombré dans l’inexistence. Elle n’est pas “morte”. La violence somnole, omniprésente dans les pénombres du chalet au bord du lac où elle s’est doucement laissée glisser, comme un fauve, comme une panthère, virtuellement toujours capable de rebondir mais qui, pour l’instant, — le long instant de l’état de paix, — repose dans le souple velours de sa nuit féline en léchant doucement le dos de ses pattes.

Mais un jour, c’est inéluctable, cette violence sortira de son sommeil et “rebondira”.

Et la seule question est : «Êtes-vous prêts?»

À suivre

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[ Les notes qui précèdent, profondément révisées, ont été d’abord écrites dans les années 1990s quand j’habitais Ottawa.

On trouve parfois une copie de ces notes originales, divisées en trois parties, sur certains sites web, sous le pseudonyme de Jocelyn Waller.

Un long extrait des notes originales a été publié en 1999 dans le No 83 de la revue littéraire montréalaise Moebius, toujours sous le pseudonyme de Jocelyn Waller.]

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