Le beau p’tit Paul, le nerd entêté, et les trois adultes qui disent pas la même chose

Ils ont pas dit la même chose … (Source : cliquer sur les mésanges. Copyright Julian Robinson.)


 

Il était une fois trois adultes et un enfant de huit ans qui s’appelait Paul. Le beau p’tit Paul.

Le premier adulte dit à l’enfant: « Viens m’voir mon beau p’tit Paul. » Le deuxième adulte dit à l’enfant : « Viens m’voir mon beau p’tit Paul. » Et le troisième adulte, s’adressant à l’enfant, lui dit : « Viens m’voir mon beau p’tit Paul. »

La morale de cette fable est qu’il arrive parfois que trois personnes disent la même chose. Voilà.  La fable se termine ici.  En fait, la fable pourrait se terminer ici.

Mais il y a un os.

Un nerd, témoin de l’histoire, et qui vient de lire la fable, insiste pour dire que les trois adultes n’ont pas dit la même chose

– Hein?!

– Oui. Un nerd, c’est un nerd. Il insiste pour dire que « viens m’voir mon beau p’tit Paul » et « viens m’voir mon beau p’tit Paul », c’est pas la même chose.

– Mais voyons!?!

– Oui. On y coupera pas. Il insiste. C’est un nerd.

– Absolument, intervint le nerd. Je vais vous poser une question simple: combien de fois la phrase « viens m’voir mon beau p’tit Paul » a-t-elle été prononcée dans l’histoire que vous rapportez?

– Trois fois …

– Vous voyez bien, dit le nerd. Comment pouvez-vous prétendre que « viens m’voir mon beau p’tit Paul » et « viens m’voir mon beau p’tit Paul », c’est la même chose si vous pouvez les additionner?

– Foutaise!

La fable se termine ici.  En fait, la fable pourrait se terminer ici, mais vous avez vu, un des lecteurs a lancé au nerd le mot « foutaise! » en réponse à ce que le nerd affirmait. On est pas sorti du bois.

– Je maintiens que c’est vous qui cultivez la foutaise, vulgaire nonerd, lança le nerd. Personne ne peut additionner une même chose. On ne peut additionner que des choses différentes. Ce qui fait la différence c’est la qualité dans chaque chose. On ne peut quantifier, additionner des choses sans que la qualité soit présente en chacune, c’est-à-dire la différence. Les trois phrases ne sont pas et ne peuvent en aucun cas être la même chose.

– Foutaise d’intellectuel! Et en plus, c’est quoi ces manières insistantes de parler en italiques!? Les trois phrases sont la même chose, ça s’entend, ça se voit, c’est tout!

S’il vous plait, la fable pourrait-elle se terminer ici?

– Non! lança le nerd …

On s’y attendait.

– … J’ai d’ailleurs assisté à ce qui s’est passé, poursuivit le nerd. La fable de monsieur le fabuliste ne mentionne pas ce qui s’est vraiment passé. Je vais vous le dire, moi, ce qui s’est passé. Les trois phrases ne sont pas la même chose, vous allez le voir avec vos gros yeux gras, non seulement elles ne peuvent pas être la même chose philosophiquement, mais on va voir qu’elles ne sont pas non plus la même chose en pratique. Évidemment! …

– Dis-le! C’est quoi ce que monsieur le fabuliste ne mentionne pas dans sa fable, hein? C’est quoi?

– Voici ce qu’il escamote, dit le nerd. En fait, il escamote l’essentiel. Voici ce qui s’est passé. Une mère se présente chez le pédiatre avec son enfant de huit ans, Paul. C’est pour un examen de routine chez le médecin d’enfants. En l’apercevant, le médecin, qui  connait bien la mère et l’enfant, lance à l’enfant : « Viens m’voir mon beau p’tit Paul. » Le médecin dit ça à l’enfant pour le mettre en confiance, pour que l’examen se déroule bien, il a de l’affection pour les enfants mais surtout il a le souci professionnel de mettre toutes les chances du côté d’un examen de routine qui se déroule harmonieusement, ça donne de meilleurs résultats. Quand l’examen est terminé, le médecin sourit à la mère d’un air entendu qui veut dire à peu près « tout est parfait ». La mère est heureuse, ouvre ses bras et dit à son enfant:  « Viens m’voir mon beau p’tit Paul. » Elle est heureuse, elle adore son enfant, elle le serre dans ses bras. On voit que les deux intentions sont différentes, l’une est essentiellement d’ordre professionnel quoiqu’avec une touche d’affection; l’autre intention exprimée par « viens m’voir mon beau p’tit Paul » est d’ordre essentiellement maternel et affectif …

– Ouais. Ensuite …

– … Ensuite, la mère sort du bureau du pédiatre. Elle s’attarde un moment avec son enfant dans la salle d’attente où un homme assis les avait suivis tous les deux quand ils étaient entrés dans cette salle d’attente. Cet homme connait le prénom de l’enfant, il a entendu la mère le prononcer deux ou trois fois dans la salle d’attente avant que la mère n’entre dans le bureau du médecin avec le p’tit Paul. Cet homme est resté dans la salle d’attente. Maintenant, la mère et le beau p’tit Paul se dirigent vers la sortie …

– Où voulez-vous en venir …

– … Je poursuis, dit le nerd. L’homme qui les observait dans la salle d’attente les suit, les dépasse sur le trottoir, ouvre la portière arrière de sa minivan et juste au moment ou la mère et le p’tit Paul arrivent à sa hauteur, il se plante devant l’enfant, se penche, ouvre grand les bras et lance à l’enfant : « Viens m’voir mon beau p’tit Paul. »

– Et qu’est-ce qui se passe ensuite? …

– … Cet homme est un pédoabuseur sexuel récidiviste qui vient tout juste de sortir de prison, dit le nerd. Ce qu’il veut, c’est kidnapper l’enfant pour en abuser. C’est une troisième motivation, une troisième intention, entièrement différente des deux premières. La première est professionnelle, on l’a vu, c’est celle du médecin; la deuxième est maternelle et affective, celle de la mère; la troisième est abusive et criminelle, celle du récidiviste. Chacune de ces intentions fait corps avec le « viens m’voir mon beau p’tit Paul », et chacune différencie la phrase irréductiblement. Je maintiens qu’en pratique il est clairement démontré que les trois « viens m’voir mon beau p’tit Paul » ne sont pas la même chose. À toutes fins pratiques, comme théoriques, les trois personnes n’ont pas dit la même chose. La dimension qualitative de chacune des phrases, l’intention qui anime chacune d’elles, imposent par elles-mêmes la différenciation, la différence. C’est d’ailleurs toujours le cas, même quand ça parait peu, ou pas, puisque, comme je vous le rappelle, on peut les additionner, et pour cette raison il n’était même pas nécessaire, pour le comprendre, de raconter l’histoire que je vous ai racontée …

– Oui, mais toi, t’es un nerd, c’est pas la même chose

– C’est c’que j’dis …

– Et ça s’est terminé comment?

Le nerd poursuit.

– La mère a lancé d’une voix forte: « Viens m’voir mon beau p’tit Paul! » L’enfant, surpris, s’est tourné vers sa mère en se collant sur elle. La mère l’a vigoureusement saisi dans ses bras et elle s’est sauvé en courant à toute vitesse avec le p’tit Paul …

– Mais alors, maintenant ce n’est plus seulement trois fois la phrase! … C’est quatre fois la phrase, elle a été prononcée quatre fois …

– Non, dit le nerd. Il y a eu quatre phrases différentes qui se ressemblent beaucoup, c’est tout. Faut pas se laisser endormir par les apparences …

La fable se termine peut-être ici, c’est tout ce que je peux dire.

– Il est sage de le dire ainsi, dit le nerd.

 


© Copyright 2011 Hamilton-Lucas Sinclair ( Loup Kibiloki, Jacques Renaud, Le Scribe ), cliquer


 

Les oeuvres de fiction de Jacques Renaud ( nouvelles, novellas ) qu’on trouve sur ce blog :   Le Cassé, la novella, avec les nouvelles; la vraie version originale et intégrale, la seule autorisée par l’auteur.   —   Le Crayon-feutre de ma tante a mis le feu, nouvelle.   —   L’Agonie d’un Chasseur, ou Les Métamorphoses du Ouatever, novella.

La Naissance d’un Sorcier, nouvelle.   —   C’est Der Fisch qui a détruit Die Mauer, nouvelle.   —   Émile Newspapp, Roi des Masses, novella.   —   Et Paix sur la Terre (And on Earth, Peace), nouvelle.

L’histoire du vieux pilote de brousse et de l’aspirant audacieux, nouvelle  –  Le beau p’tit Paul, le nerd entêté, et les trois adultes qui disent pas la même chose, nouvelle

La chambre à louer, le nerd entêté, et les quinze règlements aplatis  —   La mésange, le nerd entêté, et l’érudit persiffleur   –  Jack le Canuck, chanson naïve pour Jack Kerouac,  poème  —    L’histoire de l’homme qui aimait la bière Molson et qui fut victime de trahison

Loup Kibiloki ( Jacques Renaud ) :  La Petite Magicienne, nouvelle;  Héraclite, la Licorne et le Scribe, nouvelle.


Beaucoup de poèmes de Jacques Renaud ( Loup Kibiloki )


Sur Le Cassé de Jacques Renaud, des extraits de critiques

Jadis, la liberté d’expression régnait dans ma ruelle, ou La ruelle invisible

Le Cassé de Jacques Renaud : le vrai, le faussé, le faux  (A-t-on voulu détruire la carrière de l’auteur ?)

Sorel : En 2012, on y censure Dieu et Edith Piaf. En 1971, on y censurait Le Cassé de Jacques Renaud…

And on Earth Peace, Le Cassé, le joual, Jacques Renaud  (Sur Jacques Renaud, l’époque du Cassé, le “joual”.)


Loup Kibiloki ( Jacques Renaud )  :    Plusieurs suites poétiques de Loup Kibiloki ( Jacques Renaud )   –  Beaucoup de poèmes de Jacques Renaud ( Loup Kibiloki )  –  Des poèmes à Shiva –   Des histoires, des comptines, des contes.  En prose ou en versets libres.  Parfois bizarres, parfois pas.


Suites poétiques, Loup Kibiloki ( Jacques Renaud )  :   Les Enchantements de Mémoire  – Sentiers d’Étoiles  –  Rasez les Cités  –  Électrodes  –  Vénus et la Mélancolie  –  Le Cycle du Scorpion  –  Le Cycle du Bélier  –  La Nuit des temps  –  La Stupéfiante Mutation de sa Chrysalide


Toutes les terrasses du monde s’ouvrent sur l’infini. On va prendre un café ensemble. Poème


Blogsurfer.us    —    Icerocket

About Jacques Renaud

Écrivain.
This entry was posted in Le nerd entêté and tagged , , , , , , , , , , , , . Bookmark the permalink.

4 Responses to Le beau p’tit Paul, le nerd entêté, et les trois adultes qui disent pas la même chose

  1. Pingback: Jadis, la liberté d’expression régnait dans ma ruelle | Électrodes

  2. Pingback: Histoire de Loup-Garou. Fragments d’une chronique ancienne charcutée. Conte bizarre. | Électrodes

  3. Anonymous says:

    its not a poem

    Like

Leave a comment