Jacques Renaud
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Le Bruit des Abeilles
ou
Le Territoire
récit
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« … Ces colonnes étaient vivantes. Conscientes, hyperconscientes, consciemment actives. Elles ondulaient légèrement, émettaient des ondes…
« C’était aussi comme si elles avaient des racines très, très profondes qui descendaient jusqu’à en pénétrer les sols, “en bas” … Gigantesques “anges-colonnes”. »
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Des flaques d’eau scintillaient, brillaient, sous les basses branches des saules géants, branches dont les extrémités oscillaient paresseusement en pointant vers le sol.
La petite Rivière L’Achigan coulait lentement, doucement, à une vingtaine d’enjambées d’où j’étais assis. Elle coulait vers le village de l’Épiphanie en aval, – après avoir traversé le village de Saint Roch L’Achigan, en amont.
« La Petite Rivière du Nord » : c’est ainsi que ma mère, elle, à l’époque, nommait cette rivière. Était-ce en vertu d’une toponymie officielle – ou imprécise – de l’époque – ou d’une toponymie erronée de ma mère? Ou de Grand-Moman Manda? D’autres l’appelaient « Rivière Saint-Esprit ». Ce que je vais vous raconter s’est déroulé il y a longtemps et je ne suis pas retourné dans les environs depuis très, très longtemps. Ce que je vais vous raconter s’est déroulé en 1957 ou 1958. J’avais 14 ou 15 ans. Aujourd’hui, je dépasse 80 ans. Et j’ai opté, dans ce récit, pour « Rivière L’Achigan » qui semble être, après une courte recherche, le toponyme officiel actuel.
Je regardais couler la rivière au bas de la longue pente où ondulait et poussait un torrent de plantes sauvages.
J’aimais venir ici en prenant la chaloupe en bois de Grand-Moman Manda et en remontant un peu la rivière. Grand-Moman Manda avait une maison sur la rive opposée, en aval d’où j’étais, dans le Rang Saint Roch de l’Achigan, Sud.
J’arrimais la chaloupe au tronc d’un très haut et très gros saule à l’embouchure d’un ruisseau qui se jetait dans la rivière. Puis je marchais un peu en remontant la pente et j’allais m’asseoir au milieu du torrent de plantes. Verges d’or, bardanes, marguerites, asters, trèfle, luzerne… – et ces gros rosiers d’origine domestique dont les semences avaient migré des parterres des gens, – parterres qu’on ne voyait pas de là où j’étais, c’était beaucoup trop loin, – et les semences des rosiers de jardin avaient migré hors des jardins par force de vent, déjections Continue reading
