Le Cassé de Jacques Renaud, novella


 

« Le Cassé demeure la plus grande réussite romanesque écrite en joual. » – Pierre-Louis Vaillancourt, Simon Fraser University, années 1980s.

« Ce livre est le chant ultime de la dépossession.»  –  Jean Éthier-Blais, Une nouvelle littérature; in Études Françaises, Montréal, Québec, 1965.

« Il n’existe aucun document sociologique sur la condition du paria canadien-français qui arrive à la cheville du roman de M. Jacques Renaud. Le Cassé est plus qu’un cri :  c’est un rugissement.»  –   Jean Éthier-Blais, Le Devoir, 1964.


Avertissement ( à tout évènement.. ) :  L’ouvrage contient des scènes de violence et certains le jugent “blasphématoire”.


Poverty – Tableau de l’artiste américain Bear (Kwame Monroe), décédé en 1984. Don de Carroll Janis et Conrad Janis au Brooklyn Museum. © Brooklyn Museum.


 

« La postérité ne pourra oublier ce livre vengeur qui, avec Bonheur d’Occasion de Gabrielle Roy et L’Hiver de Force de Réjean Ducharme, forme une trilogie “dépareillée”.»  –  Lise Gauvin, professeur émérite, Littératures de langue française, Université de Montréal; Le Devoir, 18 mars 1978.

« Un des premiers textes de la modernité littéraire québécoise… Le Cassé fait aussi partie, à juste titre, des classiques de la littérature québécoise. Pour la première fois, avec tant de vigueur et de sincérité, un écrivain québécois s’attachait à donner, à la langue populaire et aux réalités qu’elle véhicule, leur expression littéraire…»  –  Réginald Martel, La Presse, 1983.

« Un mélange curieux de Dickens et de Céline… Ces pages-là vous émeuvent en vous irritant. Elles vous brutalisent comme des directs à la mâchoire et au bas-ventre.»   –  Clément Lockwell, historien; Le Soleil, 26 décembre 1964.

« La nuit est son royaume; dès que la ville s’éteint, que ses habitants fuient dans le noir, le dépossédé revit, ressuscite; la ville lui appartient.»   –  André Major, écrivain, poète et critique.

Cette oeuvre n’est pas dans le domaine public mais il n’est pas interdit de la faire circuler gratuitement à des fins personnelles et à certaines conditions.  Ces conditions d’utilisation sont très simples et visent essentiellement à protéger le droit moral de l’auteur, et non à embêter le lecteur ou l’utilisateur.  Cliquer  :   Notice de Copyright.  Toute exploitation commerciale est interdite, notamment toute exploitation commerciale sous forme de livre imprimé ou électronique.


 

1

L’ouvrage qui suit ( pas mal plus bas, vous pouvez y aller tout-de-suite .. ) est considéré depuis longtemps comme un classique de la littérature québécoise.

Du point de vue strictement psychologique, Le Cassé est certainement une illustration magistrale de l’ego à dominante tamasique et parfois radjaso-tamasique, dont parle abondamment la psychologie indienne, notamment Sri Aurobindo Ghose qui a décrit en détails le jeu des trois gounas (sattva, tamas, radjas) dans la psyché humaine.  On peut d’ailleurs retrouver le jeu de ces gounas à même cette présentation…

Par exemple, l’ego tamasique : «Par “ego tamasique”, on désigne l’ego qui est faible, se déprécie, se décourage …  l’ego tamasique…  ne cesse d’exprimer des sentiments comme ceux-ci:  “Je suis faible, je suis misérable, je n’ai aucune capacité, … le Divin ne m’aime pas, …  je ne vaux rien, je suis incapable… »  —  Sri Aurobindo, Lettres sur le Yoga, Volume 3,  Section 4;   7 – L’opposition des forces hostiles

Le Cassé n’est pas “que ça”, comme on dit sans trop y penser quand on converse (parce que ce qui se dit dans une conversation est rarement le tout du truc), mais la dimension tamasique et la combinaison radjaso-tamasique, constituent certainement les saveurs dominantes de cette “aura” de noirceur (tamas), puis de violence (radjas), dans laquelle tout l’ouvrage baigne: le noir (tamas) et le rouge (radjas).

Ti-Jean a toujours été, à mes yeux, à ma perception pré-verbale, à ces sortes de perceptions “jamais-clairement-dites”, un homme des forêts égaré dans une cité – mais sans savoir qu’il est égaré dans cette cité.  Ou que le fait d’y être tient de l’égarement.  Il a perdu mémoire des méandres qui l’ont conduit là où il est, qui l’ont conduit à devenir une incarnation de l’aliénation urbaine  :  par essence, Ti-Jean est totalement étranger à la ville.  À la Cité.   Sauf peut-être la nuit.  C’est un nocturne.  Voire, un nyctalope.  Pour ne pas dire un lycanthrope en puissance.

Ti-Jean n’est pas civilisé, ne le sera jamais, il n’est pas de la Cité, la Cité abrutit Ti-Jean, la Cité n’est pas sa place en ce monde, la Cité, il n’en veut pas, il la déteste, oui, mais, encore une fois, il ne sait pas clairement qu’il n’en veut pas et la détestation qu’il éprouve est, comme on dit, plus forte que lui.  Où aller ? C’est le thème du collophon comme disent les professeurs de littérature, c’est le thème de la fin de la novella Le Cassé.  Les quelques dernières phrases, où il évoque, justement, les points cardinaux (mais pas tous).

Tant qu’on ne sait pas vraiment ce dont on ne veut pas, et qu’on ne sait pas qu’il est inéluctable qu’on n’en veuille pas, quelques coches de plus de conscience, de conscience-tout-court, et alors Ti-Jean rasera les cités, les réduira en cendres, peut-être par siddhis, peut-être autrement, puis hurlera longuement sur la ruine la plus haute en appelant l’inéluctable et mystérieuse immanence pour qu’elle éclaire ce non-sens et rende inopérant le “non” qui tient le sens en laisse.

Mais Ti-Jean est dans le noir et il ne voit pas :  il n’est pas encore nyctalope.  Ti-Jean est de par décret de l’Inconscient collectif, il est de par décret de cette part noire de l’Inconscient collectif.  Et le scribe transcrit.

Je ne peux pas imaginer Ti-Jean autrement que homeless dans son essence, itinérant, “sans-abri”, même si, dans les faits, il habite une chambre.

Ti-Jean est non seulement a-civil, a-Cité.  Il est même d’avant la longue et prospère période de la société agricole de l’ethnie canadienne-française et de ses millions de vigoureux propriétaires terriens, néolithiques et catholiques chrétiens ( il n’en existe pratiquement plus aujourd’hui – ces agriculteurs libres ).  Ti-Jean est d’avant la société agricole, et évidemment d’avant la migration des agriculteurs libres vers les cités.

Ti-Jean est de la forêt.  C’est ainsi que je le vois.  Il n’est pas du trottoir, du bitume, du béton.

Montréal devrait normalement être recouverte de forêts, les rivières qu’on y a détruites pour faire place au rues et aux édifices de la Cité, ces rivières, elles devraient y couler encore et toujours.  On devrait pouvoir y rencontrer Marguerite Bourgeoys.  Ti-Jean saurait d’instinct qu’elle est une sainte, pas besoin du pape pour le lui dire.  Lisez bien.  Dans les termes grossiers et “blasphématoires” qui sont les siens, il canonise le Frère André des décennies avant qu’un pape catholique ne le fasse :  quand Ti-Jean fait allusion au saint, dans le texte, il ne parle jamais du “Frère André” :  il parle toujours de Saint André )).  Ti-Jean le sait.  Ces choses-là, il les sait.

En 1964, de toute évidence, Ti-Jean est d’ailleursAlien. Car au début des années 1960s, la “pauvreté” n’est pas en métastase.  Pas du tout. Pas encore.  On peut même s’étonner du fait que Ti-Jean soit “pauvre”, comme on dit.  Et ce que le scribe transcrit, non sans être profondément éprouvé par ce qu’il transcrit,  c’est un message des profondeurs de l’Inconscient collectif, beaucoup plus que du conscient collectifQuelquechose agonise.  Dans les Cités.

Le cassé est « .. un animal blessé qui désespère de trouver exactement où se situe la blessure. Quelle en est la provenance… »  –  Le Cassé, nouvelle And on Earth, Peace.

« Les cassés. Même pas l’instinct sûr des bêtes. »  –  Le Cassé, nouvelle And on Earth, Peace.


Je parle aussi un peu de ces choses ici : Jacques Renaud, ouvrages de fiction en ligne, des notes biographiques.


 

Bref, beaucoup considèrent Le Cassé comme un maudit livre dont il ne faut plus parler, ou d’autres, comme un livre maudit qu’il faut lire sans l’dire.  Un maudit classique maudit. Un lecteur a déjà dit: «J’pouvais pus l’lire, je l’ai pitché su’ l’mur! … Pis j’l’ai r’pris.» :-))  Un autre: «Ça colle aux mains, c’est rouge!»  Un autre: «Ça stique à chaque ligne comme d’la grosse colle nouère!» Un autre: «Ce livre-là, ça éveille en nous une telle compassion pour ces êtres…»  Autant d’catégories que d’lecteurs. Je pourrais en ajouter (je l’f’rai peut-être).

2

Le Cassé a souvent été l’objet d’interdits ou de censure (non-judiciaires).

Puis d’une sorte de “révisionnisme”, ou d’effacement orwellien graduel du discours massemédiatique. Depuis une vingtaine d’années. Vraisemblablement pour des raisons politiques et idéologiques, entre autres, mais ces raisons ne sont certainement pas les seules: tant d’catégories d’lecteurs, et moultes catégories d’censeurs 

L’auteur, à tort ou à raison, n’a jamais fait grand-chose pour s’opposer à cette sorte de cirque grotesque, mesquin et comiquement transparent – ce genre de cirque n’est-il pas, lui aussi, un classique?…  L’auteur en est un témoin souvent amusé. L’auteur ne s’est pas battu contre ce cirque. Peut-être, simplement, à cause de l’arithmétique, entre autres : 1964, c’est quatre ans avant, disons, 1968, c’est pas quatre ans après. Aucun révisionnisme, à long terme, n’y pourra jamais rien, ni aucune constipation du silence, ni aucune mégalomanie avide de p’tit grand, de p’tit gros. 1964, c’est quatre ans avant, et c’est quatre ans d’influence continue, percolante, osmotique, souvent invisible. Ça continue après, même aujourd’hui, et c’est toujours le même maudit texte, ligne pour ligne, même si un éditeur a déjà voulu en substituer un autre à l’original et a réussi à faire circuler le corps avorté d’une oeuvre en progrès pendant quinze ans. Mais à la fin, l’éditeur a mordu la poussière, et la poussière mordue goûtait les lignes de l’original … Tout ça, cependant, vous sabote une oeuvre et une créativité, mais Loup veillait, tranquille, au fond de la nuit, personne n’y pouvait rien, même pas moi, et surtout pas “eux” …

3

Personne, ultimement, ne changera jamais les règles élémentaires de l’arithmétique, même si ça égratigne des prestiges, des prétentions, des p’tits doigts en l’air, des vanités internationales ou provinciales, et même si ça embête des agendas politiques ou idéologiques qui, tous, finiront un jour dans les désintégrations de l’histoire et du temps où chaque ligne du Cassé les attend pour les initier aux zones compactes et noires de la psyché humaine : première station, descente en enfer. Le cassé s’est multiplié, il pullule aujourd’hui, il est partout, avec sa misère, son aliénation, sa détresse, et leurs cycles; qui ne descend pas ne montera jamais …

Mais que dire?

4

Le texte que vous allez lire est le seul en circulation – vraisemblablement le seul disponible, nonobstant certains exemplaires de 1964 en bibliothèque ou chez le bouquiniste – qui corresponde au texte de l’oeuvre originale de Jacques Renaud in extenso publiée pour la première fois en novembre 1964, sauf pour la correction de quelques coquilles, et certaines corrections de «phonétisation», et en tenant compte de certaines variantes; un bon nombre de ces changements mineurs ont été entrés directement sur ce blog, les derniers le 3 mai 2011 vers 13h00. Sous ce rapport, ces corrections semblent être terminées. La présente version postée sur ce blog est aussi la seule version autorisée par l’auteur.

Les événements des dernières années font que l’auteur est aujourd’hui le détenteur exclusif et universel du copyright et du droit moral sur cette oeuvre et peut la diffuser à sa guise. Toute exploitation commerciale est interdite, ainsi que toute publication sous forme de livre imprimé ou électronique. Important : Le Cassé n’est pas une oeuvre dans le domaine public. Mais la blogosphère permet au lecteur d’avoir facilement accès à cette oeuvre dans son intégrité. Sans intermédiaire. À vous.

Lisez. Détestez. Aimez. Jetez. Gardez. R’prenez. R’prenez pas. Pleurez. Riez. C’est rouge. C’est noir. C’est ça. Catchez l’battement.

Jr (et Loup, pas loin, Lucas aussi, discret, et le scribe, toujours présents)

*

Note 1 (vous devriez peut-être la lire, celle-là) :

  À propos de la rue Duluth, de la rue Saint-Denis, etc. :  En lisant cette oeuvre, il faut tenter d’avoir à l’esprit que la rue Duluth, comme la rue Saint-Denis, ou Clark, ou Saint-Laurent, en 1964, n’étaient pas les rues à restaurants, cafés-terrasses, avec touristes, faiseurs, pédales, animatrices de radio, écrivains, banlieusards en visite, authentiques montréalais aussi (souvent), etc., qu’on trouve aujourd’hui.

C’était bien avant le tsunami de la gentrification, notamment celle qui a, depuis, transformé le Plateau Mont-Royal et, apparemment, continue à chasser de leurs quartiers les mêmes gens pas fortunés plus au sud, en bas de la rue Sherbrooke, dans l’Est.  Ou à Pointe Saint-Charles et autour du Canal Lachine.

Par exemple, Le Cassé a été écrit dans une chambre à 10$ la semaine (40$ par mois!), dans un demi sous-sol, à une adresse qui n’existe peut-être plus : le 910 rue Cherrier, entre Saint-Denis et Parc Lafontaine…  J’ai tenté de me renseigner en 2014 ou 2015 ( j’ajoute quelques lignes, ici, en septembre 2017) pour savoir combien ça coûtait maintenant par mois.  Ç’a été “gentrifié”.  Et ça coûte plus de 700$ (canadiens) par mois.

Encore une fois, en 1964, aucune d’entre ces rues n’avait fait l’objet d’une gentrification.

Ces rues étaient essentiellement des rues normales, résidentielles, notamment Duluth, Saint-Denis, Clark.

  Saint-Laurent, ou Sainte-Catherine dans l’Est, étaient des rues où l’on trouvait des commerces, mais elles n’avaient rien de trennedé.

L’intersection Saint-Laurent/Sainte-Catherine avait parfois des allures de coupe-gorge.  Des prostituées souvent charmantes, d’âge mûr, qui n’en avaient souvent vraiment pas l’air (de prostituées), vous sollicitaient parfois dans les embrasures des portes  —  mais il y avait toujours un mec pas loin, dans l’ombre.

Il n’existait pas de village lgbt (homosexuel) à l’Est, sur Sainte-Catherine.  Toutes ces rues n’avaient rien de trennedé.  Celles qui étaient résidentielles étaient plutôt sombres.  Il n’y avait pas de restaurants sur Duluth (sauf l’occasionnel snack-bar).  On trouvait ici et là une épicerie du coin.  Duluth était une rue sombre.  Résidentielle.  Logements, chambres pas cher.  Comme Clark, Saint-Denis, Sainte-Famille, Carré Saint-Louis, etcL’Uqam n’existait pas, ses édifices, ses campus, n’existaient pas, à la place on trouvait du résidentiel pas cher.  La Cathédrale Saint-Jacques était encore intacte.   Et très belle.

À l’époque, il passait bien dans ces rues, parfois, un cassé comme Ti-Jean.  Mais il n’y en avait jamais autant, à Montréal, qu’à notre époque.  Aujourd’hui, ils pullulent.

En ce sens, Le Cassé, il y a cinquante ans, exprimait la réalité intérieure et extérieure de quelques-uns, mais aussi pressentait l’apparition de la foule de tous les autres qui allaient venir..

Note 2  :

  Le Cassé, c’est pas seulement la novella qui porte ce titre. Le Cassé est une oeuvre insécable qui comprend l’introduction, la novella et les nouvelles: c’est un tout. L’ensemble est essentiellement le portrait d’une déréliction, d’une déchéance. C’est l’expression crue du «pôle noir», ou du «pôle d’ombre» : «ce livre est le chant ultime de la dépossession» (Jean Éthier-Blais, Une nouvelle littérature; in Études Françaises, Montréal, Québec, 1965).


 

Jacques Renaud – ouvrages de fiction en ligne, des notes biographiques

Le Cassé de Jacques Renaud, des extraits de critiques (en progrès; ça s’améliore slôbotchô (très); salut les cousins, gros bizous les cousines: «slôbotchô», ça serait une assimilation vernaculaire de «slow but sure» – mais chus pas sûr).

Le Cassé de Jacques Renaud : le vrai, le faussé, le faux  —  Droit d’auteur.  Un exemple de violation du droit moral.  Le litige a duré 15 ans.  En fait, le litige a duré plus de 15 ans.  Et cet article est loin de tout couvrir.  A-t-on voulu détruire la carrière de l’auteur?  En tout cas, ça y ressemble.

And on Earth Peace, Le Cassé, le joual, Jacques Renaud  (Sur Jacques Renaud, l’époque du Cassé, le “joual”.)

Sorel : En 2012, on y censure Dieu et Edith Piaf. En 1971, on y censurait Le Cassé de Jacques Renaud…

Jadis, la liberté d’expression régnait dans ma ruelle, ou La ruelle invisible

Des oeuvres de fiction de Jacques Renaud qu’on trouve sur ce blog:

Le Crayon-feutre de ma tante a mis le feu, nouvelle.   —   L’Agonie d’un Chasseur, ou Les Métamorphoses du Ouatever, novella.  —  La Naissance d’un Sorcier, nouvelle.   —   C’est Der Fisch qui a détruit Die Mauer, nouvelle.   —   Émile Newspapp, Roi des Masses, novella.   —   Et Paix sur la Terre (And on Earth, Peace), nouvelle.   —   L’histoire du vieux pilote de brousse et de l’aspirant audacieux, conte  —  Le beau p’tit Paul, le nerd entêté, et les trois adultes qui disent pas la même chose, nouvelle  —  La chambre à louer, le nerd entêté, et les quinze règlements aplatis  —   La mésange, le nerd entêté, et l’érudit persiffleur    —    Jack le Canuck, chanson naïve pour Jack Kerouac,  poème, sort of  —    L’histoire de l’homme qui aimait la bière Molson et qui fut victime de trahison, conte

Loup Kibiloki ( Jacques Renaud ) :  La Petite Magicienne, nouvelle;  Héraclite, la Licorne et le Scribe, nouvelle.

Bon, ça suffit, Coco.

 


Jacques Renaud

Le Cassé

une novella et des nouvelles

version originale et complète


Jacques Renaud, notes bio sur Wikipedia

© Copyright 1964, 2011, 2020 Hamilton-Lucas Sinclair (Loup Kibiloki, Jacques Renaud, Le Scribe), cliquer. Toute exploitation commerciale interdite. Cette oeuvre n’est pas dans le domaine public.

 


À André Garand,
André Major,
Michel Laperrière


 

Une Maniére d’Introduction

Bon. Tout exprimer dans une seule phrase, par un seul mot, en un seul son. Ça serait trop facile. Pas possible.

Y a pas un mot qui résume tout. Y a pas un seul maudit principe qui tienne le coup devant la vie. Qui s’énonce sans mauvaise conscience devant la vie. Dans vie que je devrais dire. Dedans.

Y a pas de phrases-clés. Y a des clés tout court. Clés de prison. Clés de la caisse. Clés de ma chambre. Y a pas de mots-clés.

Combien de livres pour raconter tout c’qu’y a à raconter? Avec des mots vrais sans trop de majuscules?

Vivre. Recommencer pis recommencer encore. On est jamais content. On récidive, on récidive tout le temps.

Tout le monde est comme ça. Des récidivistes. On peut pas les fourrer toute la gagne en prison. Parce que ça serait injuste? Non. Parsque ça prend du monde pis encore du monde pour s’atteler au capital pis suer au bacul de huit à dix-huit heures par jour. Prison pour prison, certains diront qu’ils préfèrent celle du capital. A Bordeaux, y a pas de femmes. C’est peut-être pour ça qu’y préfèrent Montréal. A Fullum, y a pas d’hommes: cherchez pas plus loin. Faut pus vous demander pourquoi y a des assassinats qui se font pas. Des vols qui se font pas. Des viols refoulés. A tout prendre, on préfère Montréal à la prison de Bordeaux. Mais il arrive que des gens changent d’avis. Y ont pas trop tort.

Pourtant on tue, on viole, on vole, on assomme, on est chien à Bordeaux comme à Montréal. C’est des humains partout.

On est mêlé. Nos idées vont peut-être se replacer. On tourne en rond en tapant du pied. On vire de bord. De l’autre côté.

De l’autre côté, on s’est trompé!

De l’autre côté aussi on s’était trompé. La vie, c’est un set câllé. Ça prend un maudit souffle. On l’a pas toujours.

On est tout le monde égal devant la mort. Excepté quand y s’agit de payer le service. On a pas toute le même motton. L’Église pense à permettre l’incinération de ses cadavres à elle. La religion des cassés. Surtout celle des riches. Un cadavre, ça revient moins cher brûlé. N’way.

Moé, brûlez-moé. Donnez mes cendres aux enfants fous et aux plus belles femmes du monde. Dites-leur d’en mettre une pincée, une p’tite pincée su’ l’trottoir, l’hiver, quand y a d’la glace. Moé, brûlez-moé quand ch’s’rai mort. Dites-leur de m’oublier par petites pincées à chaque hiver.

Si y refusent, si ça les refroidit de me savoir incrusté dans glace vive quand eux-autres y sont au chaud en-d’dans, dites-leur sans les brusquer, en leur expliquant comme vous l’entendez, que c’est peut-être mieux comme ça. Dites-leur de faire don de mes derniers atomes à voirie municipale. J’aurai mon nom parmi ceux des bienfaiteurs de la cité. Chus sûr que c’est pas trop demander.

Et que la postérité m’éternue.

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Le Cassé

1

Cette chambre lui a coûté cinq piasses.

Une chambre?  Plutôt une espèce de grand placard. La porte: un pan de plywood assez large mais trop bas pour boucher entièrement l’entrée. Au-dessus de la porte chambranlante, un espace d’environ trois pieds de hauteur pis d’un pied et demi de largeur permet à n’importe qui  —  pas besoin d’être acrobate  —  de passer du couloir à chambre, d’la chambre au couloir, sans avoir besoin d’ouvrir ou de défoncer la porte.

Rien que cinq piasses par semaine. Ti-Jean comprend.

C’est pas chauffé. On est à la fin d’août. Y a encore des nuits et des jours chauds. Mais ce soir il pleut, le temps est frais. C’est à cause de ça que Ti-Jean s’est aperçu que c’était pas chauffé.

Pas de drap sur le lit. Pas de couverture non plus. La literie est pas fournie. Le matelas taché de grandes flaques brunes, jaunâtres. Des trous de cigarettes dans cette chair bleu-déteint. Une coquerelle sort d’un des trous comme une grosse bébite d’un trou de balle dans le ventre luisant d’un chien abattu. Lourde, saoule coquerelle. Repue. Le matelas: un cadavre.

Y a pas un concierge à Montréal qui va se fendre le cul en quatre pour fournir une chambre à cinq piasses. Ti-Jean sait ça. Les cassés sont trop sales pour des draps blancs.

La fenêtre: une porte-persienne à deux battants qui donne sur un balcon. Le balcon donne sur l’avenue du Parc. Ou bien sur le cimetière si on saute à pieds joints dessus parsque l’bois de ce balcon de troisième étage est pourri.

A gauche du balcon, le mur d’un bloc d’appartements cache le viaduc vert, la traverse des rails du CNR, et plus au nord, la rue Jean-Talon: des phares sans coeur, des pneus qui font un bruit de langue sur l’asphalte, un son de bouche mouillée ininterrompu, des autos reluisantes à cause de la bruine. Des autobus, des feux rouges, des klaxons, des hommes. Un pan de mur à gauche. Un pan de mur à droite. Celui-là, c’est le sud de la ville qu’il cache. Vers la rue Beaubien, la rue Mont-Royal, la rue Sherbrooke, Ontario, la Catherine, la Craig, le port, la partance, le goût des fois obsédant de tout crisser ça là pis d’partir. Disparaître. Le pont Jacques-Cartier. La campagne. Québec. Les filles. Plus loin encore, plus loin, jusqu’à Percé. Les Gaspésiennes, l’air du large qui vous enveloppe la nuit, qui vous lâche pas. Les Gaspésiennes ont la peau la plus douce en Amérique du Nord. Faire le tour de la mâchoire d’âne, passer par Matapédia, le pont Jacques-Cartier, la Catherine, l’avenue du Parc, le balcon, Ti-Jean rentre dans la chambre, la peur l’a agrippé aux épaules et l’a tiré par en arrière. Le balcon a craqué mou. Il pleut.

Ti-Jean s’asseoit sur le bord du matelas.

Il doit être onze heures. À peu près.

Philomène s’en vient.

Un filet d’eau froide coule le long de la porte-persienne. Ti-Jean s’en aperçoit. L’eau s’y ramasse sans trop se presser. Comme l’heure au fond du jour. Comme le pareil-au-même au fond de la vie.

Ti-Jean ferme la persienne. A gauche: une commode de bois blanc verni. Un long miroir encastré dans la commode, un long miroir rousselé de chiures de mouches. Un tiroir ouvert, au bas de la commode, tire la langue. Mais l’eau montera pas jusque là pour le désaltérer. Pour délayer sa crasse. Pour tout pourrir, tout humecter. Le fil d’eau bruineuse ne coule plus sur le plancher concave. La mare d’eau dort. Ti-Jean digère quelques-unes de ses heures mal mastiquées. La porte-persienne est fermée. Ti-Jean entend plus le bruit des autos, l’entêtement lourd des roues de fer sur les rails de fer sur le viaduc vert.

Les murs sont barbouillés de traces de doigts. Toutes sortes de doigts. Les doigts de qui?

Ti-Jean se dit que ça fait au moins une heure qu’il a appellé Philomène pour lui donner l’adresse de la chambre. En attendant qu’elle trouve du travail, Ti-Jean veut lui payer la chambre.

– Combien par semaine?
– Cinq…
– …Bon…
– Mémène?…
– … Quelle adresse?
– 73… Parc.
– C’est quel numéro l’appartement?
– Hee… Sept. Non! Non! …Huit, huit…

Philomène pivote sur le strapontin du restaurant, donne dix cennes à la caissière affairée, sort sur la rue.

2

Philomène boutonne son trennche.

Cinq piasses. C’est pas vargeux, ça, mon Ti-Jean. C’est vrai qu’t’es cassé. Mais t’aurais pu t’forcer. Tu m’auras pas plus qu’une semaine dans c’te chambre-là.

Pas plus qu’une semaine.

Me semble d’y voir la chambre. C’est mieux que rien. Mais ch’commence à en avoir assez de ses manies de m’dire où c’est qu’y faut que j’reste. C’est cassé pis ça donne des ordres.

Philomène a marché jusqu’à l’avenue du Parc. Elle a marché sur la Catherine en pluie.

Sur l’avenue du Parc, elle a commencé à faire du pouce. On accroche pas toujours du premier coup. Des fois, le trajet se fait pas aussi vite qu’on le voudrait. Quand c’est un homme, y chante la pomme. Y fait des détours par exiprès pour gagner du temps. C’est comme ça que Philomène a déjà perdu ben du temps pis sa cerise.

Le gars veut tâter sa chance. Il s’engage dans les rues désertes des quartiers résidentiels. Ça prend du temps.

Au bout de dix minutes, une petite volkswageune a stoppé. Philomène a couru vers le char. Une main de femme a ouvert la portière.

– Où allez-vous?
– Dans l’bout d’Jean-Talon…
– Montez.

La coquerelle a démarré. Philomène est assise tout près d’une jeune femme d’environ vingt-cinq ans. Philomène pense qu’elle aurait préféré un homme. C’est plus agréable. On les attendrit. On leur arrache un petit cinq, un petit dix. Y sont pas toujours beaux mais ça fait rien. On peut pas tout avoir. Quand y sont vieux, y tripotent pas. Y s’contentent d’la main. Sont doux. Paternels. Les vieux, c’est presque jamais en bas d’un dix.

Mais à soir, Philomène se sent d’un coup pressée. Une femme… Philomène a hâte d’aller dormir.

– Vilaine pluie…
– Hum? fait Philomène.
– Vilaine pluie… Il pleut…
– Oui… Oui…

Philomène a peur de mal parler.

– C’est ben…  C’est…  C’est d’valeur, murmure Philomène.
– Vous n’aimez pas voyager par autobus?
– Non, c’est pas ça…
– Vous n’avez pas d’argent, alors?
– Ben…  Non… He, oui… J’veux dire…

La Vôksse s’est arrêtée au feu rouge de la rue Laurier. Philomène regrette d’avoir laissé sous-entendre qu’elle a pas d’argent. Elle s’en veut. Dire ça à une femme, c’est se diminuer. C’est avouer une faute. À un homme c’est pas la même chose. Les hommes vous pardonnent tout quand ils vous connaissent pas. N’importe quoi pour vous avoir. Même un dix. Une femme! maudit! J’aurais pas dû. J’aurais dû y dire que j’étais pressée, c’est toute, que c’est pour ça que j’fais du pouce pis que ch’prends pas l’autobus. Mais c’est parsque j’avais peur de mal parler qu’j’ai pas tout dit… J’voulais en dire le moins possible. Comme ça, ça paraît pas quand on parle mal… C’est pour ça. En tout cas.

La jeune femme jette de temps à autre un regard à Philomène. Philomène est jolie. Ses cheveux noirs relevés sur la nuque accentuent la minceur de son cou. Ses lèvres sont rouges, à mordre. L’eau lui a collé des mèches lourdes sur le front. Philomène était contrariée. Elle est maintenant mal à l’aise. La jeune femme lui jette de temps à autre un regard trop tendre. C’est pas normal, ça, pense Philomène.

Feu vert. La main de la jeune femme touche à celle de Philomène. La jeune femme a saisi le bras de vitesse à boule de nacre blanc qui la sépare de Philomène. Elle embraye.

Philomène a réagi. Elle a porté la main gauche à son front. Elle effrite ses mèches mouillées.

En embrayant, la jeune femme a souri. Elle a remarqué le manège de Philomène.

Les reflets des néons et des feux arrières des autos se diluent dans l’asphalte mouillée. Coulent.

Feu rouge.

La jeune femme a, pour de bon, saisi la main de Philomène.

Philomène s’est retournée vers la jeune femme. Elle a tenté de retirer sa main mais sans trop de fermeté. La jeune femme a pas lâché. Elle regarde Philomène avec insistance mais avec calme aussi, sûre d’elle-même.

– T’as besoin d’argent?

Philomène a imperceptiblement relevé la tête.

– …
– Combien?…
– …

Philomène s’est tournée vers la jeune femme, tranquillement.

– Je peux t’aider… Cinq?… Dix?

De la main gauche, la jeune femme joue dans les mèches mouillées de Philomène. Et Philomène ne sent aucune répulsion. Elle se sent même assez bien. Mais elle ne voudrait pas que les passants la voient. La regardent. Que quelqu’un la reconnaisse.

– Tu sais, ça reste entre nous…

Feu vert.

Les autos klaxonnent derrière la coquerelle. Berthe retire sa main. La jeune femme embraye sans s’énerver.

– De combien as-tu besoin?
– Haa… Pas beaucoup…
– Tu sais que tu es jolie?… On te l’a sûrement déjà dit.

Philomène sourit. La vanité l’enjolive. Elle se sent couler dans le mâchemallo de la flatterie. C’est agréable.

– Comment t’appelles-tu?

La Vôksse secoue ses pneus comme un minou mouillé ses poils.

– Philomène…
– Philomène. C’est rare. Mémène… Oui, c’est ça, Mémène. C’est beaucoup plus joli. Moi je m’appelle Berthe. Je suis étudiante à la faculté des lettres de l’Université de Montréal…

Philomène est impressionnée; elle fait un «ha bon» étiré et surpris. Et la jeune femme y va. Elle parle de poëtes, des noms que Philomène ne connaît pas: Bauglaire, d’autres; c’est très, très intéressant.

Pendant que la jeune femme parle, Philomène a pensé l’espace d’une demi-seconde à Ti-Jean qui l’appelle Mémène. Ça date du temps de leur première rencontre. Il avait pris sa petite main dans sa grosse patte. Tu viens avec moé, Mémène? On va s’en passer une, hum? Viens, viens-t’en! Ti-Jean avait insisté. Philomène avait suivi. Quand y veut, Ti-Jean, y a pas moyen de l’faire démordre. C’te nuitte-là, Ti-Jean était venu trois fois.

Philomène continue à faire des «ha bon» étirés et surpris. Ti-Jean, elle l’a chassé de son esprit. Ti-Jean a pas sa place à côté d’une femme instruite et distinguée.

Après leur première nuit, le matin, Philomène était partie travailler. Et le soir, elle était pas rentrée chez elle au cas où Ti-Jean l’aurait attendue. Elle était allée chez Louise. Elle voulait pas revoir Ti-Jean. Ti-Jean l’avait cherchée durant trois soirs d’affilée. Il était retourné au restaurant où il avait rencontré Philomène la première fois et il avait fait connaissance avec l’amie de Philomène, Louise. Tassée dans son coin, Louise lui avait donné son adresse. Durant deux matins d’affilée, Philomène était pas entrée à la manufacture. Peur que Ti-Jean arrive à la découvrir là-bas. Philomène craignait de subir l’autorité sans réplique de ce costaud trop brutal. Et elle avait perdu sa djobbe.

Ti-Jean était arrivé à minuit chez Louise. Il avait trouvé Philomène couchée avec Yves.

– Comment qu’y s’appelle lui calvaire?!
– Voyons Ti-Jean, voyons Ti-Jean…
– Pas d’affaires, crisse! Comment qu’y s’appelle c’te morviat-là!?
– Fais pas l’fou, Ti-Jean. Y s’appelle Yves. Fais pas l’fou.

Philomène courait tout nue dans l’appartement, elle cherchait son pyjama. Yves disait rien. Il avait tiré le drap sur lui. Avait l’air éberlué. Surtout endormi.

– Ben, Yves, sors d’icitte crisse! T’as pas d’affaires à y poigner l’cul. C’est ma plote pour tout le temps astheure! Mets-toé ben ça dans ton casse sale!
– Comment…
– M’as t’sortir si tu sors pas!

Ti-Jean mesure cinq pieds huit pouces. Roffe avec lui comme avec les autres. Quand y veut quèq chose, y a personne pour le faire démordre. Y pèse cent cinquante livres. Deux yeux grands comme des trente sous. Bruns. Y beugle.

Avec lui, Philomène avait peur de personne, mais bonyeu…

Ti-Jean avait défoncé la porte pour entrer. La concierge s’était réveillée, Elle était montée dans la chambre à Louise en entendant les cris de Ti-Jean.

– Si vous arrêtez pas, j’appelle la police. Ç’as-tu du bon sens.

Yves était sorti finalement, complètement éveillé. Les voisins coignaient au plafond, au plancher, dans les murs, «vos yeules!». Philomène osait pas se montrer; quand la concierge l’a vue, elle a glapi qu’elle avertirait la vraie locataire de plus laisser n’importe qui coucher chez elle, que c’était pas normal ces affaires-là… Philomène avait dû à quitter Louise le lendemain, à la demande expresse de la concierge.

Philomène avait promis, d’abord à la concierge, puis ensuite à Louise, de payer les dégâts causés à la porte. C’est Ti-Jean qui avait finalement payé. Il voulait se faire pardonner par Louise. Par Philomène aussi. Mais Louise avait quand même un petit côté grassette pas mal ragoûtant.

– Est-ce qu’on approche de chez vous?
– Ha oui, oui… Arrêtez icitte… M’as débarquer.
– Non, non. Où demeurez-vous? Je vais aller vous reconduire jusqu’à la porte.
– J’aimerais mieux faire le reste à pied… Merci…
– Attendez un peu…

La jeune femme a stoppé la Vôksse au coin de Bernard et Parc. Elle a retiré sa sacoche d’entre les deux sièges avant. Elle en a sorti un crayon et un carnet. Elle a griffonné quelque chose. Elle a froissé un dix et le bout de papier dans la main de Philomène. Philomène la regardait faire sans parler. Philomène lui a laissé sa main gauche. La jeune femme y a mis la boule de papier froissé. Elle a refermé la main de Philomène sur la boule. Elle l’a regardée droit dans les yeux, calme, douce, sûre d’elle-même. Comme un homme doux, pense Philomène.

– Veux-tu être ma maîtresse?
– Hum?…
– Veux-tu être ma maîtresse?…
– Maîtresse…
– Veux-tu sortir avec moi?…
– … (Philomène trouve rien à dire).
– Tout ça reste entre nous… Si tu as besoin d’argent, viens chez moi. Je t’ai donné mon adresse. Ne te gêne pas, Mémène…

Philomène a vu le visage calme s’approcher du sien, les yeux qui semblaient s’agrandir pendant que le visage de la jeune femme s’approchait du sien. Les lèvres minces ont touché les siennes. Philomène a d’un coup pensé à Ti-Jean qui l’attend, va lui faire un spîtche, y a les gens qui passent sur le trottoir, pressés, oui, mais qui peuvent la voir quand même, et les autos qui dépassent la coquerelle. Philomène a reculé. Elle a saisi la poignée de la portière. A ouvert. Est sortie. Mémène a couru sur la rue Bernard. Personne m’a vue, j’espère.

La portière a claqué au loin. Derrière. Dans l’fluillement des pneus mouillés sur l’asphalte reluisante. Un bruit de célophane qu’on froisse.

3

La chambre à cinq piasses, ç’a pas duré une semaine. Philomène a téléphoné à Louise. Louise lui a dit qu’elle pouvait venir rester chez elle pour environ deux semaines. Mais pas de farces plates. Amène-z-en pas d’autres que Ti-Jean. J’ai pas envie de m’faire mettre à porte. Ch’pars pour Québec. J’veux ben t’aider mais j’ai pas envie de r’trouver tout à l’envers en r’venant.

Philomène a transporté sa sacoche sur la rue Duluth, chez Louise, dans le centre-est.

Déménager, Philomène aime ça. C’est son sport. Même quand elle travaille. Présentement, est en chômage, ça facilite les choses. Couche ici, couche là. Chez des filles autant que possible, à cause de Ti-Jean. Mais elle s’arrange toujours pour que Ti-Jean ait de la difficulté à la retracer. Elle en a peur. Elle se sent contrainte à lui obéir au doigt et à l’oeil, et c’est sa façon à elle de lui tenir tête. Elle couche seulement avec des inconnus quand ça lui arrive de faire Ti-Jean cocu. Philomène est sûre de pas les revoir. Tout pour que Ti-Jean apprenne pas. Si Ti-Jean apprenait ça… C’est un gros crédule, Ti-Jean, mais quand y pique une colère, y brise tout, y cogne, y devient dangereux. Y est terrible.

– Un vrai maniaque.

*  *  *

Philomène s’est trouvé une djobbe, empaqueteuse dans une manufacture à cigares. Elle met

cinq gros cigares dans une boîte,
cinq gros cigares dans une boîte,
cinq gros cigares dans une boîte,
coffee break… dix minutes,
cinq gros cigares dans une boîte. Vous pouvez vous les procurer dans les restaurants, les cigares à Philomène. Trente-cinq piasses par semaine pour quarante heures de travail. Tout ça pour fabriquer de la boucane à cancer. Et toute la sueur s’envole en fumée.

Louise travaille de nuit. Elle va partir dans deux jours. A revient du travail quand Philomène part le matin.

Ti-Jean arrive souvent après le départ de Philomène. Il tasse Louise dans un coin. Louise se laisse faire. Le lecteur s’attend sans doute à une description cochonne. Qu’il se réfère à ses expériences personnelles ou à défaut de celles-ci, qu’il sacre.

*   *   *

Philomène a pris rendez-vous avec Berthe dans un restaurant. Le lecteur s’attend sans doute à une conversation lascive et perverse suivie d’une orgie lesbienne dans un appartement. Qu’il sacre.

Il s’est agi, tout au plus, d’alcool, d’excitants, de gouffebâles. Ça jase, ça jase. Berthe connaît quelqu’un qui fait le trafic des gouffes. Dis donc, Mémène (oui, oui, bien sûr, tiens, le voilà ton dix dollars) si tu pouvais me rendre un tout petit service? hum? Demain, va à cette adresse, demande Bouboule et dis-lui que tu viens de la part de Berthe. Demande-lui s’il n’a pas un paquet pour moi. Hum…

*   *   *

Philomène a rencontré Bouboule. Bouboule a tassé Philomène dans un coin. Philomène s’est esquivée. Elle veut être prudente. Elle ne connaît pas Bouboule. Mais elle a peur sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que ça pourrait déplaire à Berthe. Elle aime bien Berthe et Berthe a de l’argent, une auto. Et on sait jamais… Ti-Jean… Quand les hommes couchent avec la femme d’un autre, ils se prennent pour des matamores, ils se vantent… les tavernes… Ti-Jean fréquente les tavernes du quartier à Bouboule…

… Philomène lui a dit à Bouboule que Ti-Jean je l’aime. Elle lui a joué la comédie-prétexte de la femme fidèle… Pour Philomène, il s’agit de pas perdre la face…

Mais Bouboule a l’habitude. Il a bien vu que Philomène avait une peur bleue de son Ti-Jean. Il était bandé, Bouboule, mais lui aussi a eu peur du Ti-Jean. Y en a pour qui le cul remplace l’hostie. Y en a rien qu’un qu’y a l’droit d’y toucher. C’est des curés manqués.

– Gagne de caves…

Bouboule, bandé, s’est crossé.

*   *   *

Berthe sourit sereinement au volant de sa volkswageune. Deux trois petits billets de banque et en voilà une autre qui va bientôt s’allonger dans mon lit. Ces ouvrières sont stupides et naïves. C’est incroyable. Elle fait mes courses comme une bonne à tout faire. Berthe sourit sereinement. Elle gare son auto dans le parking de l’université.

Littérature, auto, gouffebâles et papa. Baudelaire et paprika.

*   *   *

Philomène se disait, en rentrant chez Louise, qu’après tout, Bouboule ou pas Bouboule, un de plus ou un de moins…

Louise dormait, fatiguée.

Y a des rouleuses écrasées dans le cendrier de verre à côté du lit. Philomène fume pas, les cendriers l’indiffèrent. Elle s’asseoit sur le bord du lit et repousse le cendrier du bout du pied en se déshabillant. Philomène se couche et s’endort… Une Vôksse… Bouboule… cinq cigares dans une bouaîte… Berthe… habon… habon… Philomène se retourne dans son lit en s’étirant les jambes… En se levant, Louise a vidé le cendrier…

– Maudit hommes! y font-tu eksiprès pour se faire poigner …

*   *   *

Ti-Jean, dans sa chambre, lit Allô Police. Y est déçu. C’qu’y’aime, lui, c’est les décapités. Ça se fait plus beaucoup. Des vols, des viols, des meurtres, du sang, oui, y a de ça. Mais c’est à peu près tout. Des photos de bandits mal rasés, les cheveux comme un voyage de foin, avec un numéro long comme le bras sur la gorge: c’est banal. C’est toujours la même chose. Les bandits manquent d’imagination.

Ti-Jean ouvre son Détective où il apprend que les Détectives connaissent la plupart des malades sexuels. Y a la photo d’une lesbienne nue, étendue sur le plancher, en pleine crise de perversité solitaire. Dit la légende d’la photo! Personne l’a pris, la maudite photo!? Ti-Jean r’garde. Ti-Jean avale sa salive.

Huguette, la lesbienne, (c’est le nom que les Détectives donnent à la fille de la photo) s’attaquait à d’innocentes gamines. Parfois même à des adolescentes. Les Détectives veillaient mais arrivaient rarement à la prendre en flagrant délit. Et quand ils la relâchaient, elle recommençait. Un jour, cette lesbienne masochiste, disent les Détectives, demanda à une de ces adolescentes de lui faire des petites entailles sur les fesses et sur les seins avec une lame de rasoir. C’était une masochiste, eh oui, eh oui, affirment les Détectives… pom popompom… une masochiste.

L’adolescente se plia au caprice original de la lesbienne. Mais voulant sans doute rivaliser d’originalité avec Huguette, ou bien par un curieux revirement d’humeur, c’est avec le couteau à pain que l’adolescente lui fit des entailles… pom popom pom… avec le résultat que l’on devine, vous-pensez-bien. On retrouva Huguette Baignant dans-une-mare-de-sang. Voilà comment finissent tous les pervertis sexuels, affirme Détective, 15 cennes.

Y a un autre article sur Cléopâtre qui se baignait dans du lait. Un autre sur la maîtresse d’école Georgette qui souffrait de maladies vénériennes et qui distribuait gratuitement ses bébites à ses élèves. On l’a fait soigner, ajoute Détective, y disent pas pour quoi.

Ti-Jean laisse tomber le journal sur le prélart, ouvre la radio, s’étend sur son lit, gazé.

*   *   *

Cet après-midi-là, Yves, en passant sur la rue Sherbrooke, a vu Philomène monter chez Bouboule. Yves sait qu’à peu près tout le monde connaît Bouboule… Mais Mémène… Comment ça se fait qu’a connaît Bouboule? … Ah ben sibole! Shit de marde! Dis-moé pas… Est bonne… Yves connaît bien Philomène. Y a déjà sorti avec. Une nuit, Yves était couché dans son lit à Philomène quand une espèce de bonneseur a défoncé la porte de l’appartement, s’est précipité en-dedans, enragé, les cheveux dans le visage, en criant à Yves de sortir d’icitte sans ça…

Yves était sorti. Ti-Jean, c’était le nom du maniaque. Yves le reconnaît des fois sur la rue. Y s’renvouèyent un p’tit salut sec aèc’ la tête.

Yves est petit. Y a les cheveux châtain-clair, des poils de barbe clairsemés. Une petite face hypocrite.

Quand Yves a vu Philomène monter chez Bouboule, il l’a pas interpellée. Pas là. Non. Yves aime mieux tout dire à Ti-Jean sans que Philomène s’en doute. Ti-Jean traîne un peu partout. Yves est sûr de le croiser à un moment donné.

Yves marche sereinement.

4

Chiennerie de vie.

La paix, c’est pas pour demain. Le bonheur non plus. Mais qu’est-ce est, ça, l’bonheur? Ti-Jean pense à ça.

Le lecteur s’attend sans doute à ce que je dise que Ti-Jean a la nostalgie d’une certaine sécurité matérielle. Ou plus exactement, d’une certaine stabilité. Ça lui est impossible. Il n’a jamais connu ni stabilité, ni sécurité matérielle. Il ne peut pas en avoir la nostalgie. Son élément, c’est la bagarre, une ville hostile, la violence. Il a tout simplement parfois envie de se tranquilliser un peu et de voir les autres faire de même. Quand y est tanné, c’est dans ces moments-là qu’y pense à la même chose que tout le monde: au bonheur. Mais ça lui passe. Comme à tout le monde. On oublie vite une chose impalpable. Tout le monde a pas les loisirs nécessaires pour nager en pleine métaphysique.

Mais Ti-Jean est pas le genre à raconter sa vie à tout le monde. Le narrateur devrait se mêler de ses affaires. C’est ce qu’il va faire. Il est écrivain.

Ti-Jean pense à un bon bonheur qui enfle le ventre. Etre bombé de bonheur tout le temps. Ça, ça serait vivre.

Le bonheur du maringouin, c’est le sang qu’y tète aux humains. Ça le fait enfler. Mais le maringouin, y finit toujours par en péter de son bonheur. Le bonheur, c’est maudit comme la vie, dans le fond. A la fin du compte, c’est la même chose. C’est comme trop manger… Y a pas moyen d’en sortir.

Ti-Jean pense aux grenouilles qu’y faisait fumer quand y était petit. Elles fumaient de bon coeur. Et elles éclataient. Elles pétaient heureuses, saoules, mais elles pétaient, comme un gars parti sur une baloune, fou comme d’la marde, se tue dans un accident d’la route.

Ti-Jean se dirige chez lui. Encore deux ou trois minutes de marche. Deux minutes. Son caleçon, sa chemise sont humectés de sueurs. Il essuie son front mouillé sur le revers de sa main. La sueur fait des gouttes chaudes sur les ongles qui brillent. La chaleur de sa poitrine stagne sous sa chemise, la sueur est bloquée à la ceinture. Elle lui flotte au cou. C’est chaudasse. Ti-Jean s’y sent bien malgré tout. Comme si l’atmosphère devenait léger col de fourrure autour de son cou.

Il leur a dit, à l’assurance-chômage. Il en arrive. Gagne de maudits frappés! Quand il leur a dit qu’il en avait pas assez de onze piasses par semaine pour vivre, étant donné qu’il avait à payer un loyer de dix piasses par semaine…

– Qu’est-ce que vous voulez… nous autres, c’est les timbres… on calcule d’après les timbres… vous avez travaillé pendant un an et demi mais vous avez payé seulement trente-huit cennes par semaine…
– C’est-tu d’ma faute, ça! J’gagnais rien qu’vingt-six piasses par semaine, crisse! Ch’travaillais pas dans l’bureau, moé, ch’servais au comptoir…
– Ch’sais ben, monsieur, mais qu’est-ce vous voulez…
– J’veux plusse que ça, c’est toute.
– On peut pas…
– Pas d’affaires! Onze, c’est pas assez… C’est moé qui l’sais! Chus pas pour me mettre à manger mon matelas… Ma concierge va me le faire payer… Écoute, chose, ch’t’en veux pas à toé mais faut ben que j’mange… Une piasse par semaine, c’est pas vargeux… M’prends-tu pour un cave? …

C’est ce jour-là que Ti-Jean a appris que son fils valait quatre piasses par semaine. Jusqu’à maintenant, y avait rien fourni pour payer la pension du petit, c’était Philomène qui s’occupait d’ça. Lui, Ti-Jean, dans le fond, y s’en crissait du petit. Y s’était pas souvent demandé à quoi ça pouvait servir. Il s’en est aperçu quand y a déclaré une personne à charge. Le prix de la pension du petit, il leur a dit que c’était dix dollars par semaine. Il lui en ont donné quatre de plus. Ça lui en a fait quinze par semaine.

Mais n’empêche que Ti-Jean a quand même continué à penser que l’assurance-chômage, c’était toute une gagne de chiens pareils, parce que pour payer une pension de dix dollars par semaine, quatre c’est vraiment pas assez.

– Ch’peux pas crouère qu’y sont assez caves pour pas saouèr que l’quatre piasses, m’as l’garder pour moé. Ou ben donc, y s’en sacrent… Pour moé, c’est ça…

Une chance pour le Ti-Cul qu’c’est Philomène qui paye la pension. Elle a recommencé à travailler dans une manufacture de cigares. Ça paye un peu, le tabac. Chaque fois que Ti-Jean s’en roule une, y pense à Philomène. Mais Philomène travaille dans les cigares. Lui, des cigares, y peut pas s’en payer. Au début, ça le contrariait un peu, ça. Mais y s’est fait une raison. Du tabac, c’est toujours du tabac. Faut rouler. Les toufaites, c’est trop cher.

Chômeur.

*   *   *

– T’es pus avec Philomène?… , dit Yves. J’lai vue monter dans chambre à Bouboule avant hier…
– Ouais…
– Ch’savais pas ça, l’bonhomme…

Lui non plus, Ti-Jean, y savait pas.

Bouboule pis Philomène?…

*   *   *

C’est à voir si c’est vrai. Yves, on sait c’que c’est. Yves, y a une petite maudite face d’hypocrite. Yves prend plaisir à rire des autres quand y sont dans l’trou ou sur l’bord du trou, c’est vrai, mais peut-être qu’y invente ça pour se r’venger…

Ti-Jean voit Philomène une ou deux fois par semaine. Le reste du temps, Ti-Jean cherche du travail sans trop zéler. Bomme un peu. Prend un verre. Deux verres. D’autres. Ti-Jean s’enferme dans sa chambre pour lire des journaux, pour écouter la radio. C’est à peu près sa semaine. Ti-Jean est pas tellement sociable.

Ti-Jean voit Philomène une ou deux fois par semaine. Prend sa botte, crottes pas crottes. Quand y s’la sort sanglante, y se dépêche à s’la laver. Les maladies, les torrieuses de maudites maladies… J’ai pas envie d’aouèr la poche grosse de même… Pufa!

Une fois par semaine ou deux. Y écoutent des disques. Y vont prendre une marche dans les rues désertes. Dans l’temps, Philomène restait sur la rue Iberville… Déserte, silencieuse… Le carrefour Masson… Jaune de réverbères… Renfermé… Froid… Sec… Ils marchaient parfois jusqu’au parc La Fontaine… Ils disaient pas grand chose… Ti-Jean avait toujours hâte de repartir… Partir quand c’était fini… Philomène le retenait… Mais maintenant, Philomène le retient plus…

Deux fois par semaine ou moins. Ti-Jean trimbale sa grosse face et ses grosses mains dans l’appartement de Louise… Louise est partie, maintenant… Pour deux semaines… Philomène… À la lécher comme le dernier des affamés, Ti-Jean r’rend goût à la vie, retrouve le goût de la vie… Le temps de frissonner, de trembler comme le pont Jacques-Cartier, jusqu’aux os, trembler comme la passerelle quand les dix-tonnes écrasent la chaussée, la rage au moteur, saoulés d’eux-mêmes…

Chaque semaine… Philomène en gémit de surprise… Ti-Jean trouve toujours des nouveaux trucs…

Philomène a pourtant pas l’air d’une femme qui trompe. C’est vrai qu’elle a le temps de le faire… Mais ça va assez bien entre elle et lui. Ça fait un bon bout de temps qu’il lui a pas rabattu son gros battoir sur la tempe dans un mouvement d’impatience parce qu’un gars sur la rue avait regardé Philomène de la bouaîte aux tétons… Dans ce temps-là, Philomène lui disait qu’elle allait casser avec lui si y recommençait. Ti-Jean a décidé de se contrôler. C’est pas facile. Mais y faut s’faire une raison.

Philomène a pas l’air d’une femme qui trompe, mais les femmes qui trompent ont peut-être l’air de toutes les femmes.

Yves a peut-être simplement voulu le faire chier. Le niaiser. Yves est un gars comme ça. On dirait qu’y’en veut à tout le monde. Surtout à lui, Ti-Jean, à cause de Philomène. Y a pas tort, Yves, d’en vouloir à tout le monde. Ti-Jean aussi, lui, y en veut à tout le monde… Y s’accorde avec personne.

Mais moé, au moins, j’me mêle de mes affaires, pense Ti-Jean… Pis ch’fais pas chier l’monde pour rien… Pis ch’conte pas d’menteries… Yves, c’est un chieux… Ça doit être pour ça qu’y prend des moyens de même…

Philomène avec Bouboule… Vouèyons donc… J’me fais des idées pour rien. Ça s’imagine pas, ça, Bouboule avec Philomène… Les mains à Philomène qui griffent les fesses à Bouboule quand Bouboule… Non, non… Hey! C’est rien qu’des histouères à ma grand-mére… Philomène a pas d’raisons d’faire ça.

*   *   *

Ti-Jean tourne le coin de la rue Saint-Denis. Y a pas dormi la nuit passée… Il a veillé… Il s’est promené… Y a bommé… Ti-Jean prend goût à l’insomnie, y prend goût à la fatigue chaudasse qui flotte à sa poitrine quand y marche depuis longtemps… La sueur… Une épaisseur d’atmosphère chaudasse sur tout le corps… Le long de ses jambes… A ses chevilles…

Il empale une serrure avec sa clé. Il entre et referme la porte. Il empale une autre serrure avec une autre clé. C’est sa chambre. À lui. Pas celle sur Jean-Talon qu’y voulait louer pour Mémène. Ici, un plafond trop haut. Une table blanche en grès, une table qui fait grincer des dents quand on la gratte avec l’ongle.

A côté de la table, à gauche, un frigidaire trop gros, trop vaste pour c’que Ti-Jean peut y mettre. A droite de la table, c’est l’évier, blanc, crasseux, classique, un Royal Doulton made in England. Au dessus de l’évier, un mirouèr suspendu, un pied de largeur par deux pieds de hauteur. Un mirouèr sur fond gris verdâtre, un mur jamais lavé, les teintes sont sombres, indéfinies… Dans le mirouèr: la face à Ti-Jean pis ses épaules. Dans l’mirouèr, à l’arrière-plan: la fenêtre. Trop haute, trop large, la fenêtre, avec ses deux battants aux carreaux étroits… Les vitres sont presque toutes craquées. Les craquelures ressemblent à des toiles d’araignée, à des minces rayons de soleil figés, des lamelles de soleil. La chambre est trop grande, beaucoup trop grande pour lui tout seul. Son lit, c’est un lit double. Quand Philomène vient, c’est là qu’y fourrent. Philomène est venue deux fois… Trois fois… Ti-Jean, c’est pas le genre à compter les fois. La chambre est écho. Trop grande et trop vide.

Ti-Jean allume. C’est trop clair avec les pochettes du plafond. Pour rapetisser la chambre, pour la rétrécir, Ti-Jean allume la veilleuse jaunâtre au-dessus du lit double. Pis après, y éteint les pochettes du plafond.

Ti-Jean va s’asseoir sur le tchesteurfilde adossé à la fenêtre. Un sprigne braille. Ti-Jean se relève. Il s’étend sur le lit. Une trentaine de secondes. L’électricité déverse son filtre rétrécissant par l’oeil de la veilleuse… Ti-Jean se relève. Son visage s’est crispé. Y s’est dirigé vers le miroir pis y a vu ça. Y retourne au tchesteurfilde, s’asseoit sur le rebord arrondi, ferme, y frotte lentement, distraitement, le tissu rêche. Le sprigne a pas braillé.

Ti-Jean regarde autour de lui avec lenteur, distraitement, sans curiosité, froidement, comme une caméra… Bouboule, dans sa tête, étendu sur Philomène… Un film dans sa tête… Des images… Le halètement des corps essoufflés lui coule dans les trompes d’Eustache… Il voit le téléphone: un gras crapaud sur le prélart… Le Bell lui a coupé le téléphone… A cause de ça, Ti-Jean vit plus au même rythme que le reste de la société. Ti-Jean tourne plus dans l’engrenage du commerce, à la vitesse des sonneries de téléphones, des télégrammes… Ça laisse du temps pour penser… Ça lui laisse le temps de s’arrêter aux images qui titubent dans sa caboche… Maintenant, c’est comme si elles étaient devant ses yeux, les images… Les pensées… Bouboule… Bouboule pis Philomène… Yves, y a-tu menti?…

Ti-Jean secoue les épaules… Bouboule… Ouach… Ses épaules sursautent comme celles d’une fille de la ville qui vient de piler sur une couleuvre… Une pile de journaux, de revues sur la table de grès… Des histoires de pelotes… Ha! D’la marde… J’ai faim… M’as manger…  El frigidaire…

Ti-Jean croque dans une tranche de salami. Du croquant s’est coïncé entre deux incisives, comme un bout de corde.

Ti-Jean s’étend sur le lit double. La sueur, y a sent pus astheure qu’y bouge pus… C’était bon, la sueur… C’était chaudasse…

Le sommeil… L’engourdissement… L’asphyxie…

5

La fenêtre découpe un carré de nuit bleue. Tout s’agite dans la chambre, un bruit confus. Sur le tchesteurfilde, sous la fenêtre, des corps s’empilent, grouillent des pattes, des bras, des troncs, des têtes. Quand l’amoncellement se secoue, des rires rebondissent jusqu’à Ti-Jean, comme des provocations hargneuses, des morpions qui se logent là où on peut pas les extirper, des petites bêtes dans ses oreilles, des provocations hargneuses.

Philomène s’écoule mollement du tas de corps, comme un couteau de caoutchouc est extirpé de son fourreau de caoutchouc, ou à la façon du blanc mou évacué du tube de pâte à dents par une pression de paume… Comme le blanc incertain d’un acné pété… Philomène est pâle, terriblement pâle dans ses cheveux noirs qui tombent sur ses épaules… Philomène se dresse tout à coup comme un serpent pris sous le charme d’une musique de flûte. Ti-Jean l’observe, Philomène le voit pas mais se sent observée, elle est pâle…

Philomène s’est dressée sur ses talons hauts. Elle tourne le dos au tas informe de corps mâles et de femelles. Là-dedans, y en a des vieux, cheveux blancs, édentés, avec des lunettes épaisses sur leur nez. Philomène avait déjà dit à Ti-Jean qu’un homme à grosses lunettes épaisses l’avait suivie pendant deux mois sur la rue. C’était avant de rencontrer Ti-Jean. Un jour, elle l’avait vu de proche cette espèce de cave, on pouvait pas voir ses yeux… À cause des lunettes…

Les têtes étirent leur cou jusqu’à Philomène, leur cou élastique qui semble vouloir se briser d’un coup, se briser en faisant clac! comme un élastique distendu.

Les bouches s’agrandissent démesurément. Astheure c’est des tunnels qui s’éclairent au néon. Des bruits croulent dans les gorgotons phosphorescents, les bruits des camions Mack, des chars, des pneus, des moteurs… Les têtes se ferment la gueule, rentrent soudainement dans le tas de corps, retournent d’où elles ont émergé, aspirées.

Maintenant, une main germe du monticule de corps, c’est une main lisse et blanche, une main de jeune fille qui se ride tout à coup, qui caresse les jambes à Philomène, les mollets fermes à Philomène, ses mollets minces… Les mains cacassent comme des comméres, des pisseuses de balcon, des mains nasillardes, ahurissantes, «Mémène… Mémène…». Les mains étirent les bras comme tout à l’heure les têtes étiraient les cous, les mains se rident, se plissent, puis rentrent, séchées, arides, dans l’informe amas mouvant et commérant comme, tout à l’heure, les maudites grosses têtes de peupéres à lunettes épaisses rentraient dans l’amoncellement…

Puis c’est un sexe qui apparaît, surgit à la façon d’une plante dont la pousse est filmée en accéléré. Le sexe retrousse la jupe foncée de Philomène, un peu comme une tête de veau retrousse, à petits coups de mufle, le pis d’une vache… Le sexe sait ce qu’il veut, où il va, on dirait qu’il a des yeux, il retrousse la jupe jusqu’au slip. Le sexe se cabre et force le slip rose, frotte…

Philomène a crié en écartant les jambes, le sexe a percé le slip rose, la déchirure s’effiloche comme s’effiloche un drapeau déchiré. Les cuisses à Philomène se mouillent de jus rouge, puis c’est le corps qui rougit et le visage trop pâle devient rouge… Ti-Jean voit tout et Philomène se sent observée… Elle a honte et elle rougit, rougit…

C’est toute la masse mouvante qui rougit tout à coup… La masse hoquette ridiculement, un haut-le-coeur la secoue, une croix surgit du monticule, une lourde croix rouge… Ti-Jean pense au Mont-Royal… La croix, elle est élastique… Élastique comme les bras, les pattes, les cous. Les mains surgissent encore, empoignent la croix, la secouent, l’attirent vers l’amas, et soudain elles lâchent leur prise… La croix rebondit d’tous bords tous côtés…

Philomène a éclaté de rire. Le rire de Philomène, rare, agace Ti-Jean. C’est les nerfs, ça, les maudits nerfs… Ti-Jean les voit surgir, les maudits nerfs, se ramasser en boule dans la gorge, une boule qui enfle à mesure que Philomène rit… Comme des vers de terre bruns, rougeâtres, luisants… La boule enfle, enfle… Elle prend maintenant toute la place de la tête… Philomène saisit la boule de nerfs comme elle aurait saisi sa tête, par exaspération… Philomène égratiqne rageusement sa tête de nerfs… Elle crie: «Ti-Jean, va-t’en! J’veux pus t’vouèr!»

Elle a aperçu Ti-Jean et elle s’est mise à hurler comme une perdue.

Des sexes surgis de partout en profitent pour lui élargir le vagin… Les mains, les pieds, les ongles, les bouches édentées surgissent aussi de l’amas qui hurle et qui hoquette et qui grince et qui râle, et déchirent la jupe à Philomène, ce qui lui reste de slip, sa blouse, sa brassière, comme on déchire du papier journal…

Quand Philomène a éclaté de rire, Ti-Jean l’a entendue, elle regardait Ti-Jean et Ti-Jean s’est enragé… Philomène a retrouvé sa vraie tête… Ses yeux noirs, ses cheveux noirs, son visage pâle… Ti-Jean ne sait plus si elle rit ou si elle chiâle…

Ti-Jean a sauté sur son lit double, il a bondi, enragé… De la main gauche, il a saisi Philomène au cou, il l’a fait tournoyer comme une fronde. Les ligaments qui la retenaient à l’amoncellement ont pété comme des cordes à paquet. L’amoncellement de corps a fondu, il a disparu rapidement… Ti-Jean criait: «M’as t’casser en deux, ma crisse!… M’as t’casser en deux!…» De la main gauche, il a saisi au vol les chevilles à Philomène… Il l’a rabattue sur son genou levé, il l’a cassée en deux comme on casse une branche de bois sec, il l’a garrochée par la fenêtre…

*   *   *

Ti-Jean s’est assis sur le bord du lit… Ça m’fait du bien quand même… Ça m’fait du bien quand même, des rêves fatigants comme ça, on dirait qu’ça vide… L’hostie, j’l’ai pitchée dehors…

Il s’est levé. Il marche dans la chambre. De temps à autres, il entend, de la rue Jeanne-Mance, le froissement tiède d’une auto qui monte la côte.

Le bruit d’un moteur… C’est doux, ça fait pas de bruit… Du caoutchouc… Ça fait pas d’mal à personne…

Ti-Jean s’accoude au châssis de la fenêtre…

Je l’ai pitchée dehors… La chienne! J’voudrais qu’a soye pus r’gardable… Que pus personne mette la patte dessus… Excepté moé… Moé! Rien qu’moé! Crisse!… Bouboule, ça doit être vrai… C’est rien qu’un p’tit crisse de morviat!

Une idée dans son crâne, floue, endormie, commence à s’étirer les bras, à s’éveiller.

M’as d’y casser a yeule à c’te chien sale-là!

M’as d’y péter a face!

Ti-Jean pense: le tuer… A coups de poings pis à coups de pieds!

Ti-Jean chasse l’idée…

Vouéyons… Vouéyons… Pas l’tuer… Écoute… On tue pas pour ça…

Non! Y en a d’autres qui l’ont fait, ça… Ça s’appelle crime de passion, ça… Crime passionnel… C’est des jaloux qui font ça… Dans Allô-Police, y en a…

Chus-tu jaloux?… C’est ça, calvaire… Chus jaloux…

Ti-Jean marche dans chambre… La veilleuse reste passive, inattentive à ses idées de meurtre…

Ti-Jean s’est assis… Y frissonne tout d’un coup. Une fraction de seconde de frissonnement lui rentre le menton, lui hausse les épaules… C’est Bouboule, dans sa tête, qui vient de s’étendre sur Philomène… Ils sont tous les deux étendus sur ses paupières, devant ses yeux fermés… Un petit vent frais sur sa chemise de coton encore un peu humide de sueurs.

C’est une manufacture à peurs, ma tête. C’est comme des champignons qui poussent dans l’humidité… Des idées pareilles…

Bouboule, c’est un hostie d’chien… Pour moé, Yves a raison… Bouboule, y couche avec Mémène… Pis elle, a s’laisse faire, la crisse! Bouboule, c’est un bomme… C’est lui qui vend d’la dôpe… C’est un écoeurant… Mémène est bonne à licher… Pis est cochonne… Bouboule doit aimer ça… C’est un maquereau, Bouboule… Moé aussi, chus t’in maquereau… Mais c’est lui ou ben donc c’est moé… C’est comme ça qu’ça marche dans vie… Elle, m’as t’la casser en dix! En dix, tabarnac!… M’as les tuer tous é deux!…

Ti-Jean prend son tabac sur la table de grès. Il prend son papier à cigarettes. Il roule. Petite grêle de tabac, petite grêle imperceptible, bruine de tabac blond sur le prélart, dans les fougères grises du prélart, dans les feuillages usés. Tabac tassé dans le papier qui se froisse. Coup de langue sur le collant du papier. La plante des pieds lui colle aux fougères fraîches du prélart gris.

Bouboule, toé, m’as t’tuer!

Ti-Jean ne chasse plus l’idée. Elle se tient debout dans sa tête.

Chien sale!

Ti-Jean écrabouille sa cigarette allumée dans sa main droite. Il ressent à peine la courte brûlure. Il lance la petite mie de tabac humide et de papier sur le mur, frotte la paume de sa main droite sur celle de sa main gauche, il les frappe l’une contre l’autre comme des cymbales.

6

Philomène remonte la rue Crescent. Bifurque à sa gauche. Monte l’escalier vert. Sonne. Attend.

Y est huit heures et demie. À peu près.

(«J’espère qu’est là.»)

La peinture verte sur l’escalier s’écaille. Sous la peinture raccornie, des taches de bois gris. Philomène attend. Le concierge répond. Elle avale sa salive.

– Oui, mademoiselle?…
– J’voudrais voir Berthe Larue… Est-ce que…
– … Minute…

Le concierge monte lentement au premier étage. Il monte l’escalier comme un petit enfant, marche par marche. Il pose un pied à côté de l’autre sur chaque marche… Ça finit pas… C’est long… Philomène se tanne. Les p’tits vieux, c’est toute de même, ça traîne la patte… Ça fait perdre du temps à tout l’monde… Ça pue… Ça sent l’tabac, ça sent l’crachouèr… Pis ça meurt pas, ça veut pas… J’espère qu’y sait au moins quel appartement… J’me demande comment ça s’fait qu’a reste icitte, Berthe…

Le concierge redescend comme il est monté, avec une lenteur de pompes funèbres.

– Mad’moiselle…

Y a pas le temps de finir sa phrase. Philomène s’est avancée vers l’escalier. Elle trottine deux marches vers le vieux…

– Mad’moiselle Larue est’u là?
– Oui…  Oui… Mad’moiselle… Qu’est-ce que c’est vot’ nom?…

Philomène écoute pas. Monte. C’est à l’appartement huit. Est mince, Philomène. Ses cheveux noirs sautillent sur ses épaules. Ses mollets sont fins, rosés. Les hanches sont encore élargies par sa récente grossesse. Berthe la regarde monter. Elle l’attend, adossée au cadre de la porte, la jambe croisée. En shorts. Ses cuisses sont fermes, élancées. Ses mollets semblent nerveux, élancés aussi, un muscle latéral fait une saillie à mordre à pleine bouche. Sa blouse blanche est déboutonnée. Philomène voit la brassière noire. Les cheveux bruns en coupe-chat. Philomène se dirige vers la porte de l’appartement. Berthe a les yeux bruns, doux, le visage rond, agréable, les lèvres minces, sensibles sans trop de sensualité. Elle pense: les lèvres de Philomène, je les caresserais avec mes doigts, je les baiserais, elles sont charnues. Elle vient peut-être pour se donner. Petit corps mince, délicat.

Philomène sourit.

– Bonjour, Berthe…
– Bonjour… D’la visite rare…
– On est occupé, tu sais…
– Oui?…
– Humm…

Philomène va s’asseoir sur le fauteuil dans le coin de l’appartement. L’espace d’une seconde, elle voit Berthe, de dos, qui referme la porte. La blouse tombe, légère, sur son short rouge. Philomène la voit de dos. Elle sait que la blouse est déboutonnée. «Alle l’a faite eksiprès…» Philomène a soudain le goût de se sentir bien. Berthe dégage une impression de sécurité, de discrétion, de confiance en elle. Est tendre. Masculine et enveloppante.

– Comment vas-tu, Mémène?
– Assez bien…

Philomène se sent un peu mal à l’aise de pas savoir quoi dire en présence de cette fille instruite, distinguée. Philomène a tourné son regard vers la fenêtre. La fenêtre est ouverte, pour laisser pénétrer l’air, mais les persiennes brunes sont refermées, elle voit pas la façade des maisons de l’autre côté de la rue. Philomène se retourne vers Berthe qui la regarde, debout, la main droite sur la hanche droite qui fait saillie. La blouse est ouverte.

– Berthe…
– Oui… Tu veux un verre de vin?…
– Oui, ça m’f’rait du bien…

Philomène a envie de se laisser aller. De se sentir bien. Elle sait que Berthe le dira pas. Est pas assez femelle pour bavasser. A va garder ça pour elle. Philomène boit son verre de Martini. Alle a de l’argent, Berthe. C’est une étudiante. A sait beaucoup de choses. A parle bien. Est instruite, alle a toujours de l’argent. Philomène pense. Alle a besoin d’dix piasses.

– Berthe…
– Oui…
– J’ai encore besoin d’argent… J’m’excuse, mais qu’est-ce que tu veux, han? Quand tu gagnes trente-cinq par semaine pis qu’tu payes la pension d’un p’tit bébé… J’arrive pas… Franchement, j’arrive pas…

Berthe est allée s’étendre sur le tchesteurfilde. Du bout du pied, brusquement, a projette à terre un livre qui traînait sur le divan. Les Fleurs du Mal. Philomène connaît ça. Berthe voulait lui faire lire. Elle a lu deux, trois poèmes dedans. La lecture, alle aime pas tellement ça. Des fois, c’est beau. Des fois, ça écoeure. Alle aime ça s’faire écoeurer. Un peu. Alle aime ça, des fois, s’laisser faire. A pense à Ti-Jean. Alle a des bleus partout quand a couche avec. Y mord. Elle aussi. Y s’griffent.

– Combien, Mémène?

Philomène relève la tête. Aucune expression lisible sur le visage de Berthe. Sauf les yeux, bruns, brillants. Presque victorieux. Philomène la regarde par-dessous ses sourcils, comme une fillette, Philomène la regarde par en-dessous, comme une chienne craintive. Et reconnaissante.

– Dix piasses…

Berthe se lève. Philomène la voit s’approcher. A se laisserait faire. A réagirait pas. Berthe a la peau brune… Une femme instruite… C’est pas une folle, Berthe… Alle a d’l’argent…

– Lève-toi un peu…

Philomène obéit. Son coeur se pince. Berthe lui pose ses deux mains sur les épaules.

– Je n’ai pas d’argent présentement mais je peux passer chez mon père… À dix heures, je serai en mesure de te les donner…

Philomène acquiesce. Son coeur se pince. Berthe est de sa grandeur. Son nez délicat, ses lèvres minces, ses grands yeux bruns, sa coupe-chat, tout ce brun-là, c’est doux, c’est mâle et tendre.

– Ben, écoute. À dix heures?… Viens chez Louise. T’la connais-tu?
– Non…
– Est partie en vacances pour deux semaines… A m’a laissé ses clés. C’est sur la rue Duluth…  Va fallouèr qu’j’aille travailler c’te nuitte pis j’ai des affaires à faire chez moé… Si tu pouvais v’nir, ça serait parfait.
– Quelle adresse?…
– 520, rue Duluth… L’appartement onze…

Berthe a pris un bout de papier sur son secrétaire, un crayon, a s’penche. Philomène regarde la taille de Berthe, la naissance des seins sous la brassière noire, dentelée. C’est brun, c’est sombre.

– Bon. Je serai là, Mémène… Vers onze heures moins quart.
– OK, merci beaucoup, Berthe. Merci. J’vas t’attendre chez Louise…

Philomène se dirige vers la porte, a roucoule.

– Mémène…
Philomène se retourne.
– Oui?…

Berthe s’approche. Prend Philomène par les épaules, se colle à elle, sûre d’elle-même.

– Faudrait pas m’prendre pour une gourde.

Sur les lèvres de Berthe, un sourire bienveillant.

– Une quoi?…
– Une gourde… In pouèsson!…
– Non, vouèyons…

Berthe approche son visage de celui de Philomène. Philomène ferme les yeux. A s’laisse couler. Sent la cuisse de Berthe forcer sa jupe.

7

– Deux!

Monsieur Cinquante sourit de toutes ses grosses dents blanches, blanches comme de la broue.

Y est en carton, au moins six pieds de carton, accroché au mur jaune de la taverne.

Partout, des mains en l’air, des têtes effouèrées sur les tables, c’est éclairé, c’est criard de néon, la télé glapit au-dessus du comptoir. Les ouéteures courent, les verres toquent, déboulent sur les tables luisantes et brunes, les bouteilles aussi. Les trente-sous tintent dans les tabliers des ouéteures, le ding      ding      ding
ding
déding des cashes. Sur les tables, d’la broue molle bave des verres remplis. D’la fatigue mouillée, saucée dans le bruit.

On tue dans la télé. Ça tire, ça tombe. Les Américains ont l’don, han? Crisse! Deux autres! Paul! Deux autres!

Bouboule cale son troisième verre.

– Crisse que tu cales vite, Bouboule!

Bouboule rit, râle, se lèche les babines, cale son quatrième. Quand y rit, on voit ses deux incisives à la mâchoire supérieure, petites, fragiles, collées l’une contre l’autre, isolées, toutes les autres dents de sa mâchoire supérieure manquent. Ça lui fait une bouche de lapin. Ses cheveux sont noirs sale, grisâtres, des poils follets au menton, sur les joues, une tête à mourir bientôt, une face à fesser d’dans.

– Y manque jusse les gouffebâles!
– Wan!
– Deux autres! Hey, Paul! Deux autres!

Bouboule cale son cinquième. Ca paye, vendre des gouffebâles, on vit comme on peut, han? La marihuana, mon cher ami, c’est comme quelque chose d’impossible, tu flottes, tu planes, tu souignes. Dans c’temps-là, tu peux fourrer Brigitte Bardot comme si t’étais là.

Bouboule cale son sixième.

– Hey, Bouboule, c’t’tu vrai qu’tu vas avec Mémène?
– Mémène…
– Philomène, la p’tite nouère…
– Ha oui, oui!… Ben non. Pourquoi?…
– Yves l’a vue monter chez toé…
– Ah oui… Y a deux, trois jours, ch’pense. Est venue chercher un paquet pour quelqu’un.
– As-tu fourré?
– Moé? Non. J’y ai demandé pour baiser pis alle a dit non. C’est parsqu’a sort avec un gars qui s’appelle Jean, pis a’n a peur. Paraît qu’y est un peu maniaque s’es bords. Y fesse dessus, y est ben jaloux. Moé j’aime mieux pas prendre de chances.
– C’est aussi ben d’même…
– Hey, Fernand! Deux autres encôre!… Pis je l’connais pas, c’gars-là, Jean. Mais y paraît qu’y m’connaît…
– Comme tout l’monde!
– Yes sir!

Monsieur Cinquante monte la garde. Les Américains ont fini de faire les beaux pis de s’descendre dans télé. Les bouteilles saignent. Sont pas battables, ces maudits-là, han! Han! Han!!!

Les dos ronds font pivoter des têtes vers les portes. Vers la télé. Vers le comptoir. Y en a qui se traînent jusqu’aux pissouères. Drink it, piss it. Le bruit, la fatigue, les morpions. Sur le dos de la terre qui endure en attendant de secouer ses puces. Dans le coin, près de la porte, ça hurle, ça bêle. C’est l’artiste, le gars qu’y’est journaliste, le déviargeur au long cours qui se crosse en-dessous de la table. Le sculpteur lui vide son verre su’a poche. L’Art.

Les tables soutiennent des mentons sales de manoeuvres, des mentons luisants de collets blancs, des mentons barbus d’artistes, des bommes, des pimmes, des chômeurs. D’la broue. Péter d’la broue. S’péter a yeule. C’est ça. Beaucoup d’broue.

Bouboule cale son huitième.

– Bon, ben c’est ça!

– Salut, Bouboule…

Bouboule se la coule vers l’exit. Out. S’appuie un instant sur In. Y disparaît dans Out. La rue, les autos, les pneus la tête baissée. Le brékage. La Maine croise la rue Sherbrooke. La Richesse et la Marde. La Croix du chemin. Bouboule s’enfonce là-dedans, dans le bruit qui, lui, se perd dans plus d’espace que le bruit de la taverne, dans la tiédeur compacte du soir. Avec la fraîcheur de l’air con’décheunde d’la taverne, l’air tiède se brasse dans les poumons à Bouboule. Rhume.

Bouboule traverse la rue Sherbrooke. Attend. Le feu vert s’est éteint. Il a reparu plus haut: rouge.

– Ça, ça veut dire: Attends, Ti-Gars.

Une femme passe près de lui. Bouboule fait un faux-pas. Sa main glisse vers le bas-ventre de la femme. A s’en venait en se tortillant comme une couleuvre. Alle a fait hiiiii. S’est pliée en deux. S’est écartée. Des gens se sont arrêtés, ricanent. La femme chiâle.

– Espèce de maquereau!… Vicieux!… P’tit vicieux!…
– Va donc chier… T’es rien qu’in cul comme les autres…

Le feu est vert, vert criard, vert.

– Mange donc d’la colisse de marde!

Feu vert. Ça, ça veut dire: profites-en, Ti-Gars. Bouboule traverse en courant. Court jusqu’à la rue Clark. Descend la rue Clark au pas.

8

Ti-Jean ouvre la radio. Une guitare geint à faire brailler, à faire couler des larmes à une comédienne. A faire pleuvoir le soleil. Des cris qui rebondissent sans répit, comme des balles de djinne, ça galope, ça court dans pièce, ça trouble la veilleuse, les yeux à Ti-Jean.

C’est le chant des pâ-ouâs, des dancings avec des femmes en panique, pour tout et pour rien, du criaillage, des bouteilles fracassées sur les têtes enflées d’alcool, d’eau de vie; des mains coupées du coeur par la scie des années glissent mollement sur les comptoirs rougis par le frottement des piasses, des culs de verres, ceux des putains, ceux des bouteilles, par le frottement des sacoches aux perles incrustées, des perles à cinquante cennes le collier; au poignet de la prostituée brille un bracelet de pacotille que le policier René lui a payé parce que sa femme est pas assez vicieuse pour lui; les comptoirs rougis par le frottement des coudes et des manches des habits à carreaux, à brillants. Un veston pis deux pantalons, quarante piasses et quatre-vingts quinze cennes, no taxeuss, OK jeûne hôme?

Les comptoirs des clubs de nuit, ça sent le front plissé pis le vagin vendu.

Des femmes en panique, des coups de feu, Bouboule qui déboule le long de l’escalier comme une balle de djinne, Bouboule qui rebondit comme les rondes pis les blanches sonores des guitares électriques, rebondit sur les marches deux par deux, rebondit, rebondit, rebondit jusqu’au trottoir, se brise le coeur qui s’effrite en garnottes, se pète la tête sur le ciment du trottoir, c’est ça, l’cave, endurcis-la, ta maudite tête. T’as même pus d’coeur. Endurcis-toé a tête pis tu vas devenir un grand homme, un choyé de ces dames, tu vas avouèr, avec tes piasses, les femmes des autres qui sont cassés. L’automobile, mon vieux, l’automobile, les chars, c’est ça l’amour. Mets ton nom quèq’part à toutes les semaines, écris n’importe quelles niaiseries dans un journal régulièrement, là tu vas être un homme. Pour régner, oués-tu, y faut être le plus écoeurant des écoeurants. N’importe quoi. Faut qu’tu soyes in héros, comprends-tu? N’importe quoi, un hold-up, un meurtre, un livre, une bonne dose de bonne conscience, fais-nous accrouère que t’en a mangé d’la crisse de marde avant d’t’en sortir, dis pas qu’t’as dû coucher avec la femme de chose avant de devenir comme par miracle un héros, non, fais pas ça, tu seras pus un héros. Dis-leur que tu t’es faite toé-même. A partir de rien. Dis-leur pas qu’t’as dû trahir tes amis, faire le pimme, non. Mens! Crisse! Mens! Y vont t’crouère, tu vas vouèr. Mens-leu plein l’nez! Tu vas en avouèr, des pelotes pis d’l’argent.

Bouboule a déboulé le long de l’escalier. L’indifférence sociale le peinture de sirènes d’auto-patrouilles, tout est noir devant ses yeux à Bouboule: du noir à reflets avec du lettrage blanc: POLICE.

L’air de guitare est terminé.

«CJMS Montréal, le poste des Canadiens-français, vous écoutez le hit-peréde américain avec…»

Ti-Jean a fermé la radio. Y plisse le front. Croise ses mains. Regarde ses doigts qu’y bouge lentement. Le bruit des chars qui montent la côte de la rue Jeanne-Mance remue le silence. En tout cas, ça lui perce le ventre, à Ti-Jean, le coeur lui débat. Il a un vrai mal de Philomène à se maîtriser, un mal de Philomène dans les bras à Bouboule. Mémène, viens ma Mémène, viens mon p’tit minou, viens. Ha! Comme ça, tu couches avec Bouboule, mon hostie d’chârogne! Bouboule, m’as l’kuer, c’crisse-là! Pis té aussi, calvaire, té aussi!…

Ti-Jean a pas seulement parlé dans sa tête, non, sa bouche s’est ouverte. Y a crié. Sa voix s’est assommée dans chambre. Alle a calfeutré les lézardes dans les encoignures, les craquelures des vitres.

Ti-Jean a frappé à coups de pieds dans la portière du frigidaire. Une bosse. Puis à coups de poings. Ses jointures sont tuméfiées. Son poignet droit lui fait mal. Ti-Jean se jette, la rage au coeur, sur le lit. Se tire les cheveux à pleines mains. Frappe du poing sur le matelas. Son ventre se met à palpiter sur le matelas qui sursaute. Qui grince. Ti-Jean s’entend brailler comme une vieille vache à cinq heures dans l’champ. Il a comme un mal sonore au ventre. C’est comme la boîte de résonnance d’la guitare électrique. Lui aussi, Ti-Jean, y déboule quèqpart…

Ti-Jean s’mouche. Une trompette. Y s’essuie les yeux. Les paupières. Les tempes lui picottent.

Fini d’brailler!
C’est pus l’temps d’niaiser.

Une idée dans son crâne s’est éclairci les idées.
Ti-Jean enfile son coupe-vent de serge bleue.
Met ses clés dans sa poche de coupe-vent.
Y sort de la chambre. Descend l’escalier.
Y s’arrête un court instant devant la porte de la cave: PRIVÉ.
Ti-Jean écoute. Jette un coup d’oeil dans l’couloir à sa gauche: la première porte du couloir, c’est la concierge. Ti-Jean entend une voix assourdie qui chante. Y devine la vieille pâmée devant la télévision.

Alle entendra pas. A interviendra pas. Pas d’danger. La voie est libre.

Envouèye!

La porte de la cave a pas grincé. Ti-Jean pénètre. Pose le pied sur la première marche. Se retourne, referme la porte. Qui grince pas. Du feutre. Ti-Jean allume. Des chaises empilées, des tables, des boîtes de carton remplies, attachées à la corde, un lit à baldaquin, des housses sur des fauteuils. Ti-Jean descend. Dans le fond: l’établi. Le coffre à outils. Ti-Jean ouvre le coffre. Petit bruit de métal.

Ti-Jean remonte. Éteint la lumière, referme la porte, fourre ses mains dans ses poches de coupe-vent. Sa main droite tâte un objet dans sa poche droite.

Envouèye!

*   *   *

Ti-Jean. Tout lui semble beaucoup plus facile maintenant qu’il marche dans l’air tiède du soir. Doux. D’été. Bouboule, Philomène, c’est moins douloureux que tout à l’heure. Maintenant c’est des objets de haine et de vengeance… Tout est beaucoup plus simple, tout est beaucoup plus clair. Ti-Jean regarde le cadran de sa montre… Se sent affairé, occupé… Le travail… L’activité… Une djobbe… Neuf heures dix… Ça s’énerve pas, des aiguilles de montre. Le soir est bleu. Les rues, les trottoirs sont bien réverbérés. L’éternelle plainte mugissante d’une sirène de cabze ou d’ambulance le ramène à la réalité la plus quotidienne de sa ville: la boucherie, l’hystérie, le crime, la mort. La sirène proteste comme elle se doit de protester. Elle hurle sa volonté de puissance. Tout est simple. Si simple, si correct… Comme des devoirs d’école… Neuf heures et vingt. Ti-Jean sait où il va.

La rue Clark.

*   *   *

Ti-Jean s’est assis dans le coin le moins éclairé du restaurant. Chacun passe inaperçu là-dedans. On diffuse la lumière en couleurs par petites buées criardes. Tout est bruyant. Tout est indéfini. Bouboule est là. Ti-Jean le voit. Il l’observe à son aise. Y a un coup dans l’corps, Bouboule, y est joyeux, y jase, y jase… Ti-Jean se souvient de l’avoir déjà vu à la taverne, Bouboule…

– Quin, r’gard’… Bouboule, ben, c’est lui…
– Pis?…
– Y passe des gouffes. C’est lui, ça… Si t’en veux…

Ti-Jean se rappelle de deux incisives sans voisines, une denture de lapin, son air de rat pécolé. Sa brosse longue, noire sale.

Deux couples viennent s’asseoir à table de Ti-Jean. Toutes les tables sont occupées, ce soir. Ti-Jean pense que ça doit être vendredi. Y est presque sûr qu’c’est vendredi. Les jours, yés compte. Jusqu’au jour des prestations… C’est important de savoir la date du paiement des prestations… Si on manque la bonne journée, si on arrive deux ou trois heures en retard, le petit fonctionnaire, avec sa maudite face peuple amaigrie, du bout de sa lèvre sèche, agacée par une moustache à la Hitler, le fonctionnaire miteux, dans son habit à carreaux à quarante piasses, son habit à bon marché, le petit crisse de fonctionnaire vous cuisine et vous pose cinquante-six questions indiscrètes, embarrassantes… Y peut décider, pour un oui ou pour un non, de te couper les prestations, c’t’écoeurant-là… Ça doit être vendredi, parce que…

Une des femelles des deux couples est assise en face de lui… Femelle… Une féfille… Quinze… Seize ans… A regarde Ti-Jean par dessous ses sourcils, le vice et le masochisme dans le clignement lent de ses yeux. Une féfille qui peut rien comprendre. Rien deviner.

Ti-Jean sait qu’il a une grosse face de bomme. Y baisse la tête vers sa tasse de café. Son visage s’est crispé. Y s’sent mal à l’aise devant la féfille qui le fixe sans jamais détourner son regard… A peut pas deviner… Rien… Qu’est-ce qu’a connaît dans vie? Han? Non. A peut pas deviner qu’est-ce que Ti-Jean va faire t’à l’heure quand Philomène va arriver… Parce que, c’est comme rien, Philomène va venir rejoindre Bouboule… L’obsession… Si Ti-Jean avait pas d’obsession, qu’est-ce qu’y ferait, Ti-Jean?… La bonne obsession… La féfille est pas encore assez mutilée par la vie pour deviner… Pis à part ça, une fille, ça s’mutile pas, c’est comme du diamant… Est pas assez folle pour sentir en face d’elle, pour apercevoir à quatre pieds de son nez d’aveugle, la folie furieuse d’un autre… D’un mâle… D’une machine à souffrir… Ti-Jean, c’qu’y va faire, y va se lever quand Philomène va arriver, pis là… Y va faire ça le plus vite possible… Le plus vite possible… Y en bande rien que d’y penser…

La féfille l’envisage toujours… Ti-Jean est agacé… Y sippe son café, tête baissée… Tout à l’heure, ça va dégosser là-dedans… Free for all… La féfille va le voir se lever brusquement… A comprendra pas tout de suite c’qui arrive… Comprendra jamais… Quelques secondes après avoir vu Ti-Jean faire, a va hurler comme les autres. Ti-Jean sait tout ça… Y a l’habitude de voir hurler des femmes, courir des femmes vers l’exit, se tirer les cheveux, s’arracher les décolletés, se battre, se poussailler pour sortir, comme les petits cochons se pilent les uns sur les autres pour téter à truie… Quand ça y poigne, à Ti-Jean, tout l’monde crie, hurle, se sauve…

Autour de lui, ça caquette, ça crie, ça rit, ça s’poigne le cul, ça placotte, ça règle le sort du monde, le djouk-box pisse Aznavour, vomit les Beatles, secoue Vigneault par le chignon du cou pour lui faire expirer ses dernières grandes bouffées d’air pur, pour faire tomber ses derniers sapins qui lui restent dans son crâne, ses dernières parcelles de lui-même… Trente-sous pour trois tounes… Pis personne est rassasié…

La féfille dévisage toujours Ti-Jean.

Voés-tu, moé, féfille, j’ai une idée dans l’ventre, d’in gosses, pis dans tête… Ça enfle, comprends-tu? Ça enfle, crisse!

Ti-Jean tourne la tête vers Bouboule. Les deux maudites dents presque transparentes… Agaçantes… M’as d’y faire avaler! Ti-Jean tâte la poche droite de son coupe-vent, imperceptiblement. Son poignet droit est encore sensible à cause du coup de poing dans porte du frigidaire… Tout à l’heure. Quand Philomène va arriver. Philomène, c’est plus une image dans sa tête, comme tout à l’heure. Non. C’est devenu simplement quelqu’un qu’il attend, qu’il a pratiquement jamais connu… Mais c’est l’obsession qui’est bonne… Y en démord pas, Ti-Jean… Y s’sent vivre… Ça enfle aux aines, son goût de massacre… Ça enfle le ventre, ça dilate la gorge, Ti-Jean plisse le front, baisse la tête, sippe son café… Ça s’en vient… T’à l’heure, Philomène, ma Mémène, ma chârogne, ma chienne…

Ti-Jean méprise avec hargne les gens autour de lui, surtout la féfille. Y ont pas, comme lui, une idée qui les mène, une obsession qui les hante, une bonne obsession, compacte, palpable. Y ont pas de passion.  Ti-Jean, c’est l’seul habitant de ce monde écoeurant. Y prend les décisions qu’y veut. Y fait c’qu’y veut. Y est libre. Personne peut venir l’empêcher. Sont trop médiocres… Gagne de crosseurs! Ça dissertent, y s’amusent. Y sont pas désespérés, ceux-là, comme lui, Ti-Jean, désespérés au point de s’en saouler, d’en vivre, du désespoir, le désespoir comme une drogue et la haine comme une soupape, un barbiturique qui vaut toutes les gouffes à Bouboule… Tout le monde parle de tout le monde, peu leur importe la haine, la folie à leur côté, un bonhomme poussé à bout, bourré d’explosifs, une bombe humaine avec un coeur qui fait un tic-tac gras, rouge, nerveux, une bombe qui va leur sauter dans les pattes comme un rat égaré… Qui va mordre et déchirer les tendons… Gruger les restes de sandouitches comme un affamé du port, déchiqueter les piasses, les dix, les vingt, les cinq, tout ça c’est chronométré, prêt à sauter, à bondir à face des imbéciles… Comme un rat égaré, comme un chat aussi… Comme n’importe quoi d’affolé, d’éperdu; comme un homme… La féfille le fixe et le peinture avec ses petits yeux bleus… Pas assez folle pour imaginer, sentir simplement, la folie d’un autre…

Philomène arrive pas…

Philomène arrive pas. Du bruit, du café, du flirt, de la théorie dans les volutes de fumée, les volutes se brisent sur les tables, les tasses, toutes les encoignures possibles, les volutes vont flotter au plafond, comme des pensées, des belles pensées, je t’aimerai toujours et je te serai fidaïle, du Saint-Ex, du sermon, de l’amour de femme…

Fini de t’faire niaiser, Ti-Cul Ti-Jean!

Si Philomène arrive pas, tu commences par Bouboule… Après ça, ça sera le tour de Philomène… Est chez Louise… Philomène aime ça changer de place… La sacraman! C’est ça, l’hostie!… Aller dormir ailleurs… Maudit qu’chus cave, Ti-Cul Chose! Si Bouboule est tout seul icitte, a doit être avec un autre… Mais Bouboule quand même, l’hostie! J’ai pas braillé comme une vache pour rien. Chus toujours ben pas pour m’excuser à Bouboule parce qu’y est pas son seul maquereau. Y va d’y goûter pareil! Même si c’était rien qu’pour y faire envaler ses deux p’tites crisses de dents sales!… Fini de t’faire jouer dans l’dos. Y a des limites à toute! Ça va saigner t’à l’heure!… Han, Mémène!? Ça marche pus, ces affaires-là!

Le lapin jase, croque un doigt de fille comme une carotte incarnate. Aznavour en gémit de frustration. La fille embrasse le lapin dans le cou. Elle se tortille dans sa jupe… Elle mouille… Envouèye… Mords-y une oreille! Gêne-toé pas! Moé, ch’te jure qu’y en a pus pour longtemps… Y est aussi ben d’en profiter pendant qu’y en reste… Y en a pas assez d’ma Philomène, c’te chien-là!…

Ti-Jean a bu trois cafés. Son coeur se débat dans son obsession qui enfle. Y veut en commander un autre. Bouboule se lève. Sort tout seul. Bouboule s’en va. Philomène est pas venue. Bouboule frôle Ti-Jean. Ti-Jean baisse la tête. Bouboule se dandine vers l’exit. La porte à ressort le chasse dehors. Ti-Jean se lève. Sort.

9

Ti-Jean voit Bouboule descendre la côte Clark vers la rue Ontario. Ti-Jean presse le pas derrière lui. Bouboule arrive au coin d’Evans et de Clark. Dans trente secondes, il va mettre le pied sur la rue Evans pour la traverser. Ti-Jean court derrière lui. Il sort l’outil de sa poche de coupe-vent. Il écrase dans sa main droite la poignée du tournevis. Dans sa main moite. Il sent que sa main glisse sur le plastique épais, le plastique vert du manche. Il appuie sa main gauche sur son poing droit dont le poignet élance. Bouboule marche. La tige de métal a frappé Bouboule sur la tempe droite, derrière l’oreille. Le coup a mal porté, mais Bouboule plie vers le trottoir, Bouboule est étourdi. Ti-Jean croyait bien que la tige allait se planter dans le crâne à Bouboule, percer l’os comme la coquille d’un oeuf de poule. Non. Le coup a mal porté. Bouboule doit avoir une maudite tête dure, aussi, une tête de cochon. Bouboule saigne dans ses cheveux. Ça brille. Il se tord sur le trottoir comme un quatre de caoutchouc qu’on secouerait, un quatre étourdi, ondulant sur l’asphalte bleu, doux et tiède. Bouboule geint faiblement.

Ti-Jean l’empoigne par-dessous les aisselles. Il le tire vers la droite, sur le trottoir de la rue Evans. Bouboule se laisse faire en babillant de douleur. Ti-Jean le traîne dans un fond de cour. Au deuxième étage de la maison dont la porte du rez-de-chaussée donne sur la cour, un blagne baissé, un mince cadre de lumière. Il y a quelqu’un. Faut faire ça vite. Ti-Jean baisse la tête vers Bouboule. Son regard rencontre, une fraction de seconde, un trou de noeud comme un oeil vertical dans une planche de la clôture de bois brun, raviné; délabrée par le temps, la clôture, par la neige, par la pluie… Ti-Jean cligne de l’oeil… Faut faire ça vite.

Bouboule est étendu sur le dos. Il geint. Il commence à chiâler un peu plus fort que tout à l’heure. Les deux incisives: Ti-Jean lui bouche la gueule d’un coup de talon. Les deux lèvres ont fendu. Ça saigne. Bouboule chiâle trop fort. Ti-Jean s’agenouille sur ses épaules, il lui plante la tige du tournevis dans le palais. Envouèye! Dans la gorge via la bouche gluante. Ti-Jean jouit à imprimer au tournevis un mouvement saccadé de va-et-vient. Le sang gicle par le nez. Un coq saigné.

Ti-Jean sent une résistance osseuse au bout du manche du tournevis. Comme quand on ouvre un poisson pour l’étriper.

Ti-Jean pousse la tige de métal dans la gorge à Bouboule qui gigotait comme un crapet soleil qu’on écaille.

Quand Ti-Jean était petit, il allait pêcher des anguilles dans le Saint-Laurent avec son père. Ils les plantaient sur le petit saule près de la maison. Avec un pic à glace qui perçait d’un seul coup les petits crânes visqueux. Les crapets, eux-autres, rendaient un son d’os écrabouillés quand on plantait le canif dedans.

Y se l’est fermée, han!?

Bouboule gargouille comme un tuyau de lavabo qui se vide… Mais en plus gras… En moins sonore… En plus lent… Du cauchemar…

Ti-Jean est allé chercher une grosse pierre qui traînait avec d’autres dans le fond de cour.

Bouboule a perdu la tête… C’est pus rapiéçable…

*   *   *

Ti-Jean a essuyé le tournevis avec son mouchoir. Son mouchoir, il l’a jeté dans une bouche d’égout. Sur sa cuisse gauche, du gras, une plaque de gras chaud. Mais ça sèche en marchant. Et son pantalon est brun. Le sang, c’est ni plus ni moins discret que la boue. Ti-Jean a les mains collantes. Les tavernes sont des labyrinthes. Il s’est lavé les mains, les poignets, ça l’agaçait, c’était collant. Il s’est aspergé le visage. Il s’est laissé couler de l’eau dans le dos. Son tournevis reluit comme un neuf sous l’eau de la champlure, un bon tournevis avec un manche de plastique vert bouteille. Il se lavait toujours en revenant de travailler. Il se regardait dans le miroir… J’ai une grosse face plate… Mes cheveux sont pas peignables. Mes mains… Maudit qu’j’ai des grosses mains. Il jouait des cymbales avec ses mains.

Philomène.

*   *   *

Une heure et demie. La nuit est bleue, correcte, bien élevée. Ti-Jean marche vite. Il serait peut-être nerveux, Ti-Jean, s’il ne marchait pas si vite. La marche fatigue autant d’obsessions que de jambes. Elle leur fait aussi des muscles.

Philomène.

*   *   *

La rue Duluth. Déserte. Silencieuse. Personne. Comme toujours. La nuit bleue. La tiédeur et les réverbères. Ti-Jean pressé.

L’appartement onze. En entrant dans le bloc, Ti-Jean a croisé une gagne de jeunes partis sur une brosse.

Ti-Jean sonne. Monte l’escalier. Y attend devant la porte de l’appartement onze. Y connaît bien l’endroit. Y venait voir Louise. Ça fourre, Louise, ça arrête pas. Poigne un! Poigne l’autre!

Ti-Jean cogne à porte. Ça répond pas. Une lumière de veilleuse raye le dessous de la porte d’un trait morne. Ti-Jean entend une musique d’orchestre, fade, longue, insignifiante. Ça vient de l’appartement. Ti-Jean cogne encore. Rien. La musique zique et rezique. La raie de lumière morne sous la porte… Ça répond pas. Ti-Jean s’enrage, cogne à coups redoublés, crie. Les voisins protestent pas, la concierge non plus. Ou ben sont sortis, ou ben sont saouls.

Mais y a quelqu’un derrière la porte, ça, Ti-Jean, y en est sûr. Y l’sait. C’est Philomène. Chârogne! Tu veux pas répondre! Attends!

Ti-Jean s’adosse au mur, face à la porte. Y lève la jambe droite et rue violemment du talon à la hauteur de la serrure. Le châssis de la porte craque. Ti-Jean jouit de voir, de sentir céder les portes comme les corps. Y s’élance encore. Un violent coup d’épaule. Un autre. Tout est possible cette nuit. Tout. Ti-Jean pénètre en courant, énervé, dans le boudoir. Y court vers la cuisine à sa droite, au bout c’est la chambre…

– Philomène!
– Veux-tu ben m’dire qu’est-ce tu veux, toé à c’t’heure icitte?

C’est Philomène qui vient à sa rencontre dans cuisine. Victoire! Conquête! Avant d’la tuer, ch’couche avec! Hip hip hip! Duplessis! M’as t’enculer avec ma matraque, chârogne! Kowalski! Donnes-y! Fesse! Hitler! Arrive icitte!

Philomène cligne des quenoeils.

A vient d’sortir d’la noirceur.

– Qu’est-ce que j’veux? Chus v’nu t’vouèr, vouèyons.
– Comment ça?…

Ti-Jean se dirige vers la chambre.

– … Non! Va-t’en, Ti-Jean! C’est pas d’tes affaires!
– Envouèye! Marche!

Ti-Jean agrippe Philomène au poignet. La tire rudement dans la chambre de Louise. Devant le lit, Ti-Jean, y a débandé! Y s’est enragé. Faut ben qu’ça sorte par quèq’part. Y a écrasé le poignet à Philomène. Berthe était étendue, toute nue, dans le lit, bronzée par la pénombre. Ti-Jean était ben’k trop surpris pour rester bandé.

Dis-moé pas qu’a couche avec des femmes, astheure!

– Quâ-c’est ça?!… Sais-tu qu’est-ce est qu’tu veux, toé?!
– Oui! La paix!

Philomène fixe Ti-Jean droit dans les yeux. Ti-Jean jouit de son sentiment de supériorité sur Philomène.

– Ken, d’la paix! T’en veux, d’la paix! En v’lâ, d’la paix!

Ti-Jean a rabattu le revers de sa grosse patte sur la tempe à Philomène. Y a lâché le poignet à Philomène. Est allée s’adosser au mur, chambranlante. A s’tient la tempe avec ses deux mains. Son déshabillé est ouvert. Ti-Jean lui rabat sa main sur l’autre tempe. Mémène s’est fermé les yeux en crispant ses paupières. Le goût de l’étrangler saisit Ti-Jean aux épaules. Y s’contente d’un coup de pied sur une cane. Philomène braille comme une perdue. Elle s’est penchée vers son tibia tuméfié. Ti-Jean lui arrache son déshabillé. Y s’sent invincible. D’une poussée de la main, y’envouèye revoler Philomène près de la commode, dans la pénombre.

– T’es tout nue, han! Ma chienne! Ça fourre avec Bouboule pis ça couche avec des femmes à part de t’ça! Une belle écoeurantrie, ton affaire!

Berthe est d’abord terrifiée. Puis étonnée. Puis elle sait plus où donner de l’expression et de la mimique. Puis elle se met à varier précipitamment son expression. Étonnée, terrifiée, étonnée, terrifiée. En voyant ça, Ti-Jean rit aux larmes. Dans la pénombre, Philomène braille, chiâle. Ti-Jean se sent revivre. Y rit. Y en a mal dans le cou, dans les côtes. Ça tire par en-dedans.

Ti-Jean sort en claquant la porte.

La rue est tiède. Les façades sont sales et correctes. Du papier-journal s’est enroulé autour d’un poteau. Ti-Jean marche. Y’accote son menton sur sa poitrine pis y rit dans sa fatigue. Y pense que c’est une chance que Philomène soye pas venue rejoindre Bouboule au restaurant. Y était maniaque à ce moment-là. Y les aurait tués tous és deux, devant tout le monde. La police serait venue. La police l’aurait pendu. Tandis qu’astheure, y a pas d’danger. Personne connaissait Ti-Jean au restaurant. Personne l’a vu tuer Bouboule. Y a colissé une bonne volée à Philomène. Son menton rit dans sa fatigue. Berthe. Hé! C’est d’valeur qu’a soye de même… C’est une maudite belle bouaîte… Pis est peut-être aux deux… Comme Philomène, la crisse… J’me demande… J’me demande si Yves y a menti…

10

Ti-Jean marche sur le trottoir d’asphalte qui ceinture l’étang du parc Lafontaine. Le matin a courbé l’échine. Ti-Jean aussi, à cause de la fatigue. Le matin bouge pas. Ti-Jean non plus. Ti-Jean s’est arrêté.

Le soleil est mouillé, le ciel est gris, l’herbe a l’air bébête, froide, verdâtre. Ti-Jean écoute un peu. Il prête attention à tous les bruits qu’il pourrait entendre. Il veut bien s’assurer que rien bouge. Le silence, c’est bon. Rien bouge. Ni l’étang, ni le présent, ni lui, ni le matin figé dans du gris-hangar, du bleu de ruelle. Rien, il entend rien.

Il penche la tête au-dessus de l’étang.

R’gâr-moé donc ça!

Grosse face plate!

Ti-Jean crache. Y a fracassé sa face. Puis sa face se recompose dans l’eau par petites lamelles nerveuses. Hachée menue, sa face, gossée par les vaguelettes.

Ma face est molle. L’étang gosse comme un canif. Il me bat la face comme un moulin à battre bat les épis de blé, et la balle virevolte dans l’air avant d’aller dormir dans la mauvaise herbe. C’est coupant comme des lames de rasoir, l’eau. Une face, c’est une vraie farce dans l’eau.

Un journal déchiré s’échiffe au fond de l’eau. Une manchette: Sawchuck repêché par Chicago. R’pêché! Gueurlot, son affaire! Y est plutôt neyé comme y est là… C’est ça qu’y veut dire, là, lui.

Le fou rire lui a couru de l’oesophage au gorgoton. Ti-Jean se redresse. Il s’entend rire dans le parc. Il se redresse.

Le journal pourrit au fond de l’eau. Un journal pas plus éphémère que les autres. Pas plus éphémère que la boîte de sardines qui baîlle sa rouille un peu plus loin. Pas plus.

Mais passager quand même. Fragile comme tout. Fragile comme la tête à Ti-Jean.

N’empêche qu’un jour j’vaudrai pas diable mieux qu’une bouaîte de fer blanc dans l’eau. J’me sens déjà tellement rouillé.

Rouiller. C’est ça, vivre. On finit par en pourrir de vivre. Pis pour mon cas, c’est peut-être pas si loin que ch’pense. Y vont trouver Bouboule, la tête effouèrée. Y a des témoins qui vont venir ouèr dans l’fond de cour.

Pour pouvoir dire après, qu’eux-autres aussi ils l’ont vu, le mort de la rue Evans. On va parler d’un maniaque. Le maniaque au tournevis. Ou le maniaque à la grosse roche pesante. Ça va intimider les mécaniciens et les maçons. Un maniaque. Le tueur aura plus droit à son existence passée et à venir. Sera simplement un tueur, essentiellement un tueur. Pour tous les badauds de la bêtise, l’assassin aura existé que le temps d’être écoeurant, sadique, maniaque. Avant? Après? Peu importe. Un tueur, c’est rien qu’un tueur. Faut surtout pas qu’il soit autre chose. Ça compliquerait tout. Y est né en tuant, y est né d’un corps qui pourrit déjà. Y doit mourir tué. Pendu proprement. Les tueurs, c’est une race. On veut rien savoir de leur vie avant l’assassinat. Sont nés dans les évangiles à scandales. Leur pays c’est la prison. Leurs moeurs sont pas ceux des badauds de la bêtise. Les assassins et les autres meurent assassinés. C’est écrit dans les évangiles à scandales. Seuls les badauds de la bêtise meurent jamais. Sont là, sont toujours là pour en témoigner.

Y en a qui vont dire, oui, ben oui, c’est le linge à Bouboule. Tout le monde le connaît. Bouboule, y doit avoir des papiers sur lui, c’est comme rien. Y en a qui vont dire, ben oui, on a vu un gars qui est sorti tout de suite après lui. Y avait un coupe-vent bleu pis y avait l’air fou. Y avait l’air d’un maniaque. Pour moé, c’gars-là, ça doit être un maniaque. Parce qu’y était ben bâti, pis un tueur, c’est gros. Y était pas normal. Y avait l’front tout plissé pis les yeux agrandis comme des trente-sous. Y avait les cheveux frisés dur, pis longs. Un vrâ bomme.

Voyons donc. Qui c’est qui va aller dire ça? Y a personne qui m’connaît dans c’te maudit restaurant d’barbus-là. Personne. C’était la deuxième fois, seulement, que j’y allais. J’étais déjà allé, une fois, avec Philomène, mais j’avais rien qu’fait entrer pis sortir. J’aimais pas ça. C’est toute! Voyons. Énerve-toé pas, Ti-Cul Ti-Jean.

Y vont l’trouver mort, Bouboule, pis y sauront jamais qui c’est qui’a faite ça.

Mais y vont savoir que Bouboule fourrait Philomène. Yves, le p’tit chien sale, y va aller dire à police qu’y me l’avait dit, ça, l’après-midi. La police va dire: un crime passionnel. Y vont m’chercher. Mais les hosties, en tous cas, si y courent après moé, y m’prendront pas vivant.

Si y m’prennent, ça va être comme dans Allô Police. Y vont publier mon portrait avec un numéro sur la gorge, un numéro long comme le bras.

C’est ça. Mais moé, ch’sais qu’chus pas un bandit comme dans Allô Police. Ça s’peut pas, ça, ça s’peut pas. C’est des fous, ces gars-là. Tout l’monde a peur d’eux-autres. La police les met en prison pour pus qu’y nuisent. Chus pas beau, correct, mais chus pas un tueur à cause de ça.

Non, c’est pas ça. Y vont penser que c’est une affaire de pègre parce que Bouboule y vendait des gouffes. C’est ça. C’est un gars d’la pègre, pis la pègre, y s’tuent entre eux-autres… Ha! Pis han!

Ti-Jean se secoue. Il reprend sa marche. Il n’a même pas encore pensé à se sauver. Ça lui dit rien. Ti-Jean a envie de penser à autre chose.

Ti-Jean pense à sa grand-mère qui fabriquait des tonnelets avec du papier mâché. Le journal, au fond de l’étang, aurait pu servir à ça. Ti-Jean aurait pu fabriquer une grosse boule de papier mâché avec le journal. La boule aurait été dure comme du bois. Quand a aurait été sèche. Plus dure encore que la tête de cochon à Bouboule. Tant pis pour lui. C’était à lui d’pas faire le chien.

Ha oui! Les petits barils… Y avaient environ trois pieds de hauteur pis un petit peu moins qu’un pied d’circonférence… J’ai pas faite mon cours secondaire pour rien, moé, j’ai du vocabulaire… Pis j’ai d’la mémouère… Ça ressemblait à des tams-tams d’Indiens, les petits barils. C’est là-dedans qu’a mettait sa catalogne pis ses aiguilles. Quand a les barbouillait toutes sortes de couleurs, moé j’pensais aux pouèssons d’bonbon dans l’bocal brun d’la pènetri… Toutes sortes de couleurs… Du violet pis du jaune… Des couleurs un peu comme quand ch’sors saoul d’la taverne, le souèr… Toutes sortes de couleurs… Du jaune, du bleu, tout en zig-zag, du nouèr aussi, pis du rose… Pis du rouge, du bleu… C’était rouge, surtout… Ben plus rouge qu’les lèvres à Bouboule quand j’y ai pété a fiole avec un coup d’talon… C’est vrai qu’y faisait nouèr… C’te maudit baveux-là… Y pouvait ben chiâler…

Non! Mais c’était d’vouèr la face à Berthe! A savait pus si y fallait avouèr peur ou ben donc rire, ou ben donc êt’ surprise… Ou ben donc… Ou ben donc…

Calvasse de pelote!

Ti-Jean rit encore. S’arrête. Les bancs de parc sont alignés, assis, rigides, comme des soldats, comme des comédiens assis sur la scène. Ti-Jean s’assit.

C’tu drôle! Faut que j’marche pour pouvouèr penser un peu. Chus comme in djouk-box. Ma tête, c’est comme un vieux djouk. Faut que j’la brasse pour qu’a joue. Mais c’est-tu drôlement faite, le monde.

À sa montre, y est sept heures du matin… C’est un matin gris… C’est comme l’automne en plein été… C’est l’automne qui commence… C’est pour ça qu’chus triste… L’automne, c’est mort comme Bouboule pis comme mon amour de cave… C’est drôle… J’ai tué Bouboule… On dirait qu’c’est même pas vrai… Comment ça s’fait?!…

Bon, bon! Niaise pas, Ti-cul Ti-Jean. T’essaye trop de t’tranquilliser. Ça va t’jouer des tours.

Ti-Jean frissonne dans sa fatigue.

Ça m’achale que le matin souèye gris… Si y avait du soleil, j’penserais pas à Bouboule, à Philomène, à Berthe… Berthe!… Non! Mais c’était d’y ouèr la face… Une maudite belle bouaîte, par exemple… Non, mais l’as-tu vue!…

Au moins, y a deux, trois p’tits moineaux. Pit pit pit. Maudit qu’chus nono… Les petits moineaux… Le jour, on les entend pas, c’est parce qu’y a du bruit… Chus certain qu’y font pit pit tout l’temps… Le souèr, y s’couchent…

Aurore, délice et barbe font un cave dans un matin… Comme dans grammaire… Ma main m’pique, j’la gratte sur ma barbe… Ma Mémène, qui s’y frotte s’y pique… Embrasse-moé… T’es rien qu’une chârogne mais embrasse-moé quand même… Ch’t’haïs mais ch’t’aime quand même… Endors-toé dans mes bras… Du parc à l’appartement, y a d’la longueur d’un nez… J’ai pas envie d’vouèr plus loin que l’mien…

Ti-Jean se souvient de la nuit qu’il a passé. Les criards des totos résonnaient. Y avait de l’écho… L’écho des totos, ma toutoune…

La ville, c’est pas disable, la nuit. C’est pas du monde… C’est mort. C’est l’été… C’est un peu comme une mer morte… Le vent est tiède. Y frôle les feuilles des arbres… Les arbres sont chatouilleux. Les moteurs d’autobus grugent le vent tiède. Leur bruit s’attendrit. Les autobus passent pis on se demande pourquoi… Personne dedans… Personne su’a rue.

Y s’en souvient bien de c’te nuit-là, Ti-Jean. La ville s’était alitée. Un vrai lac, la ville. Les klaxons criaient, striaient la nuit pis l’silence comme d’un coup de pinceau trempé dans la peinture blanche. Ça brillait dans ses oreilles. Pis les criards éperdus se taisaient en entendant l’écho qui ressemblait tellement aux cauchemars de celui qui appuyait sur le ventre du volant comme sur un ventre de femme où une demi-lune chromée attend une pression de la paume pour exister.

Ti-Jean s’est mis à penser aux gens couchés, ceux qui dormaient, ceux qui dormaient pas. Ceux qui rêvent après leurs pamoisons de corps, poussés à bout de fatigue comme les locomotives dans les pentes. Ti-Jean s’est mis à penser aux agonies, aux assassinats qui fournissent pas, bonyeu, qui fournissent pas à vider les pouponnières et les maisons trop pleines d’enfants, de gars fatigués, de femmes en robes de chambre, de jambes de femmes striées de rayures bleues en relief, comme les rayures du faux marbre; les bas-nylons déroulés sur les chevilles comme des masques encombrants, achalants, qui tombent presquement d’eux-mêmes à force de trop se sentir risibles, inutiles. Les varices.

Des pouponnières que les assassinats videront jamais, arriveront jamais à vider, des pouponnières ou des orphelinats qui regorgent de beaux bébés, des malingres, des gras, des malades, des boursoufflés, toutes sortes. Des enfants qui appartiennent à quelqu’un ou qui, de toutes manières, s’appartiendront jamais. Quand est-ce qu’on va pouvoir s’appartenir rien qu’un p’tit peu? J’aurais pas tué Bouboule si Philomène m’aurait pas tenu par les gosses. C’est d’sa faute! Ou la faute que chus maquereau. Ha! Ch’sais pus!… Chus pas tout à moé.

Tout ce qui arrive, ça le dépasse maintenant. La vie, ce maudit mystère, ça le cale. Y veut rien savoir. Rien.

Sa nuit à Ti-Jean était tiède. Y avait chaud à marcher. Une chauve-souris émettait à intervalles réguliers des cris pointus, gratuits, puis a s’taisait ou ben a s’éloignait. Près des réverbères, les feuilles des érables étaient crémeuses. Dans l’ombre, elles étaient brunâtres, incertaines, les feuilles. La ville était assommée, engourdie, effrayante par bouts.

Tout le monde s’était effouèré dans ses chicanes. Tout le monde rêvait à des affaires impossibles. Faire des affaires… Tout le monde veut faire des affaires… Tout le monde fourre tout le monde… J’ai ben faite de tuer Bouboule… Ses talons font de l’écho… La ville singe tous les bruits, la nuit…

Quand une auto passe, ça ronronne fort. Puis ça disparaît. Mon frigidaire, y ronronnait dans mon dos, des fois, quand j’lisais des livres avec des belles pelotes… Ou les journaux… Toutes sortes de journaux… Des cochons… Des pas cochons… La politique, j’aimais ça aussi, mais c’est ben sale… Pas mal écoeurant… Y a même un gars qui m’avait accroché dans une taverne pour me dire qu’y fallait militer comme y disait. Militer, c’est un mot que ch’connais, j’y ai dit ça. Depus ben longtemps… J’aimais ça, c’mot-là… À l’école, le maître y nous en parlait de militer… Lui, y était dans l’Église militante… Y disait que c’était nous-autres, ça, c’était les hommes vivants pis les femmes aussi, tout le monde dans le même bateau… Mais j’voyais personne militer comme le maître y disait, personne dans mon bout… J’nous voyais quand même militer, dans ma tête… Ça, c’était quèqchose… On partait en gagne pis on montrait au monde qu’on avait du coeur au ventre, on donnait le bon exemple… On s’fiait à l’évangile, on contait pas de menteries, on faisait comme Jésus-Christ disait de faire, on s’crossait pas, on fourrait pas de femmes avant le mariage, on riait pas des autres, tu voués l’affaire?…

Moé, j’étais ben prêt’ à toute faire ça… Ça fait qu’j’ai essayé… Mais j’étais l’seul dans gagne à faire comme Jésus-Christ… J’me sus tanné vite… Les autres, y niaisaient… Ou ben donc, y parlaient, y parlaient, pis y faisaient jamais rien… Dans le fond, y voulaient mettre leur gros cul su l’Christ pour sauver leur âme pis leur avenir, comme on disait quand on allait à l’école… Y faisaient semblant d’être ben chrétien mais, dans l’fond, c’était des chiens sales… Des fônés…

J’me sus tanné en calvaire. J’ai colissé ça là. C’est d’même. Y a toujours un maudit boutte d’être tout seul dans l’affaire… J’ai jamais aimé ça, m’faire niaiser… J’ai dit à Jésus-Christ d’manger d’la marde longue de même, pis j’ai commencé à m’crosser en pensant à Marie Madeleine… Les gars, eux-autres, y m’ont envoyé chez l’diable… Y pouvaient pas m’envoyer ailleurs… Pis, d’toutes façons, la vie c’est un enfer… En enfer, ça doit pas être pire… Tu pries l’bon Dieu pour oublier que tu y es, en enfer… Que tu vas y rester, même après ta mort, dans l’enfer, parce que tu vas pourrir dans terre… En attendant, moé j’m’arrange pour vivre quand j’en ai envie… Ch’comprends rien là-dedans, la vie, ça fait que j’veux rien savouèr de ceux qui vivent… Même si j’voulais savouèr quèqchose, y pourraient rien m’dire, y connaissent rien, y en savent pas plus que moé. C’tu vrai, ça, oui ou non?

Le gars faisait la baboune. Y retroussait le nez. Ti-Jean continuait…

Ètait comme Marylin Monroe, Marie-Madeleine, ètait blonde pis a mariait ben des hommes… Jésus-Christ devait être en crisse. Les autres, en tous cas, ça les dérangeait pas, ça, Marylin Monroe… Pantoute! En tous cas, les pécheresses, moé j’étais pus contre ça… J’les aimais… J’avais quel âge, donc?… Quatorze, quinze… Ch’sais pus.

Chus allé poigner l’cul de la blonde à Robert… Suce-moé, Ti-Jean, OK?… Moé, j’me sus senti tout drôle. C’était sec pis gonflé dans ma gorge. A s’est assise sur le fauteuil, dans cave, chez Robert. Robert était pas là. Ça goûtait salé. Ça m’écoeurait un peu, c’était la première fois. C’que j’aimais surtout, c’était d’la vouèr gigoter pis s’morfondre… Alle avait l’air niaiseuse. Pis plus alle avait l’air folle, plus j’aimais ça, pis plus ch’tètais.

– Suce-moé, astheure, crisse! Envouèye!…
– Comment… Ch’sais pas si j’veux…
– Suce! Ch’t’ai sucée, mon hostie, suce!… Sans ça, m’as tout dire à Robert…

J’étais bandé, une affaire effrayante… Pis alle avait l’air folle… J’voulais qu’a plie l’cou d’vant moé… C’était chaud… Maudite folle… A disait qu’j’étais pas beau… Pis ça, j’l’avais su l’coeur… Mais a m’trouvait plus cochon qu’Robert… C’est pour ça qu’a cherchait les coins noirs… C’était pour que j’y passe la langue dans craque. Ma langue sentait fort, après ça…

Un beau jour, me sus tanné d’elle… J’y ai dit, à Robert, que j’la suçais entre les deux cuisses, sa blonde… Y a pâli, pis y est parti… J’ai jamais revu sa blonde entre les deux cuisses comme avant… Rien que sur la rue… A m’disait même pus bonjour…

Robert est venu me le dire, après, qu’y suçait sa blonde, pis qu’y devenait cochon… Y fallait, pour qu’y garde sa blonde. Y était plus beau qu’moé, pis y devenait cochon… Y avait toutes les chances de son côté. Tout ça pour te dire qu’y faut faire confiance à personne. Donne-leu des conseils, y vont s’en servir contre toé. Ch’te l’garantis!

Le gars s’était levé pis Ti-Jean avait continué à parler tout seul, comme dans le moment y marche tout seul dans le parc Lafontaine…

Les totos. Les bébés. Ça se ressemble. C’est comme ça qu’on appelait ça, quand j’étais petit, des totos. J’les faisais rouler sur les dessins du tapis. Dans la cour, je leur faisais des chemins avec de la terre, de la boue, de la gravelle. C’est drôle comme les criards des totos, ça m’fait penser à des cris de bébés. C’est cave.

11

Oui. Des cris de bébés dans la ville alitée. C’est l’été. Montréal est une île meurtrie. Une île mouvante et sonore comme une mer qu’on tue. Le fleuve s’est figé autour comme de la fonte. Le fleuve veut dormir. Rien ne l’en empêchera. Le fleuve est un anarchiste. Quand il voudra envahir l’île, il le fera. Quand il le voudra. Et ne criez pas que vous voulez tous mourir. C’est inutile. Vous n’avez même pas besoin de le vouloir. La vie s’en charge à chaque instant. Le suicide n’est ni une question de lâcheté, ni une question de courage. Ce n’est même pas une question. Ce n’est même pas un problème. C’est un acte. Naître, c’est se suicider. Nous nous suicidons tous. Faites le tour des usines, faites le tour des clubs de nuit, les très riches et les très pauvres, faites le tour des journaux et des milieux d’artistes et d’intellectuels, regardez-les se déchirer les uns les autres, regardez-les s’autodétruire aussi. La seule différence dans les orgies entre l’Est et l’Ouest, c’est que dans l’Est, on s’assomme, et que dans l’Ouest, on s’amuse. Dans l’Est, on s’pacte, dans l’Ouest, on s’amuse, on prend une cuite, et pour faire ça, y en a toute une gagne qui se cache en s’entourant de clôtures.

Le fleuve, c’est une bande hernière. Montréal s’est crevé. Tous les soirs, tous les matins, sauf les gris, le rouge du soleil dans l’eau c’est le sang des insulaires qui se dilue, indifférent, dans l’eau froide et figée. Montréal est un râle. Un braillage de bébés. Ça finit plus. Un long meuglement de criards de totos. Montréal, c’est une île torturée, assommée, hideuse dans sa poliomyélite. Montréal étendue dans ses meurtrissures sous la lune.

Montréal tannée.
Montréal monnayée.
Montréal en maudit.
Gagne de chiens!
Qui ça?
Tout le monde!
Fesser! Frapper! L’air sent la violence à plein nez. Le gaz carbonique pis l’mensonge.

Et la tendresse, des fois, quand un arbre prend un couple par la taille dans un large et muet bras d’ombre.

12

Quand Ti-Jean croisait des gens sur la rue durant la nuit, ce qui le surprenait le plus, c’était de constater, même s’il cherchait partout des indices du contraire, c’était de constater, malgré lui, que ces gens qu’il regardait d’un air fuyant semblaient tous ignorer son acte. Ça n’arrivait pas à lui entrer dans la tête cette ignorance des gens à l’égard de sa personne. De l’incrédulité. Un refus de constater que lui, Ti-Jean, venait de tuer Bouboule. Personne sur la rue ne l’arrêtait pour lui demander si c’était bien lui, Ti-Jean, l’assassin de Bouboule. Personne. Et il y avait à peine quelques heures que tout ça venait d’arriver.

On ne devient un véritable criminel que quand on nous a fait sentir ou qu’on nous a répété cent fois qu’on en était un. Peu à peu, Ti-Jean s’était convaincu lui-même qu’après tout, un tueur c’est un homme comme les autres. Il était même un peu déçu d’avoir tué Bouboule. Il regrettait la volupté de sa rage et de son obsession avant le coup de tournevis dans le gorgoton… C’était ça qui était bon. Maintenant que tout était fait, que Bouboule était mort, il avait le goût de recommencer à haïr quelqu’un, mais cette fois, il attendrait plus longtemps avant d’y planter un tournevis dans le gorgoton… Pis après… Tout serait à recommencer… Maudite vie plate… C’est comme avoir envie d’une femme… On la tasse dans un coin, on y ouvre les deux cuisses, on y passe un coup de langue… Le lendemain, y faut recommencer… Ça finit jamais… Si y faut que j’me mette à tuer autant que j’ai fourré… Ça finira jamais… On est jamais content…

Alors, vers le matin, Ti-Jean s’est amusé à cracher dans l’étang du parc Lafontaine pour faire des petits bruits, pour troubler un peu la surface, par irrespect, ou bien pour faire des rondelles d’eau qui s’agrandissent sans arrêt.

Ti-Jean hésite au coin de Marie-Anne et Papineau. Vers l’Est? Vers l’Ouest? Vers le Nord?

Il veut se rouler une cigarette. Il fouille dans ses poches de coupe-vent. Il sort le tournevis. Il le jette dans une bouche d’égout. Il a plus de tabac. Il fouille dans ses poches de pantalon. Il a plus une cenne.

Cassé.

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And on Earth, Peace

L’aube. La soupane blafarde. La visquosité de l’humidité. Le froid. Une odeur de ciment gelé s’est figée dans mes sinus. L’odeur a disparu. J’ai beau me dilater les narines, je n’arrive pas à la renifler de nouveau. Odeur de ciment gelé! Oua! Pis après. M’en sacre. Odeur de quèqchose. Ça puait. Chus jamais allé m’placer l’nez au-dessus du ciment gelé, comme ça, pour le fonne. Pourrais ben dire que ça sent gris. Ah! Pis après. M’en sacre. Pas pour me mettre à recherche des puanteurs. Chus pas imprésario. Me retrouver à dump. Nez dans marde. Pour trouver des puanteurs. Non, non. Hey! Pas si cave.

Il frissonne. Il aime pas ça. Il sait qu’une stupide absence de chapeau ou de bottes fourrées, plus la fatigue – il est fatigué – et c’est une pleurésie «légère». Ça lui arrive tous les hivers. Le frissonnement. Ouerch! Maudite marde! Bromo quinine – pilule verte. A chaque frissonnement, y répète la même chose. Un vrai chien de Pavlov. Une fringale lance un sang nerveux à ses tempes. Par saccades. D’un coup, sans crier gare, ses mâchoires se décrochent. Ses nerfs cèdent quelque part. L’épaule croule vers la droite. La tête vers la gauche. Puis vrang, la mâchoire. Frissonnement. Des phrases et des mots s’entrechoquent dans sa tête.

«Brassées par bandes, brassées par bandes.» Une écharde de poème. «Un-brin-d’scie-fait-la-planche.» Six pieds. Celui-là, c’est de moi. Comique en barnac, han, Baudelaire? Mon enfant, ma soeur, songe à la partie de fonne d’éparpiller des confetti de poèmes à tous les coins de rues. Un policier au bout de chaque doigt, astiquer rageusement les écuries d’Augias. Je t’aime. Un beau mot – allons – un beau geste. Un beau fumier, toute cette enthropophagie. Songe à la douceur d’aller là-bas. Non, non. Pas dans les écuries d’Augias. Tu connais pas Augias? Un beau malpropre. T’en parlerai. Songe à là-bas pis pose pas de questions. Les guerlots sonnent (pause) dans la vallée (demi-pause). C’est une trôlée de morveux dans ma tête grosse comme un orphelinat. Mon enfant, ma soeur, songe un peu, c’est douze piasses pour des bonnes bottes – ben non, voyons, des bottes qu’on se met d’in pieds, cochonne. On est fourré. Là tout n’est qu’ordre et marché, marche par là mon poulet que j’te pleume, luxe, calme et volupté.

La veille, il est allé louer une chambre pour Loulou. Elle a dix-huit ans. Elle est enceinte de lui. Il a trouvé la chambre vers neuf heures. Loulou est venue s’étendre sur le lit. Elle a souri. Chus fatiguée. Sourire triste, pensa-t-il. Triste… Non. Je dis ça parce que je sais, moi, qu’elle est lasse et sans doute triste… ça se voit dans les yeux. Lasse et écoeurée. Je sais. Si un autre l’avait vue sourire, un inconnu, aurait-il pu deviner ses sentiments réels? Peut-être. Sourire triste… Ça se sent. Ce sourire, ce visage, sont explicites. Ce sourire n’est pas artificiel. Ne laisse rien sous-entendre. Ne cache pas l’écoeurement. Il le transforme. Toute la douceur du monde vient se résorber dans un mouvement des lèvres. Loulou sourit.

Etre envoûté par le simple contact du regard avec le sourire d’une écoeurée. Comprends pas. Veux-tu me dire. Ces sourires-là, on s’en rappelle toujours. Loulou sourit. Loulou sans emploi, sans amis, cassée, fatiguée, à bout. Loulou palpable, aussi, passionnée. Loulou enceinte. Loulou dans marde comme beaucoup d’autres. Loulou sourit. Ecoeurée, chaleureusement vraie.

Il est allé acheter des hot-dogs et des patates frites, rue Amherst. Loulou s’est endormie après avoir mangé. Pâle. Belle. Ailleurs. Ailleurs. Ayeur. ‘Yeur… Le mot se retournait sur lui-même dans sa tête, lentement, coulait le long de ses tempes… ayeur… yeur… Tout semblait être ailleurs dans cette chambre. La chaise, la table, le lavabo. Les deux ampoules fixées au mur. L’une, pendante – oblique et raide, plutôt. L’autre, horizontale, plus jeune sans doute. «Plus jeune», pensa-t-il; c’est stupide. Ampoule «jeune». Oua! Et d’abord, pourquoi plus jeune? Parce qu’elle est horizontale et que l’autre est penchée, oblique? Un mort peut être horizontal ou oblique… Aucun rapport avec le dilemme, il y a de vieux morts et de jeunes morts. D’ailleurs, un pendu est perpendiculaire… Aucun rapport avec les ampoules, aucune d’elles n’est perpendiculaire… Complexe, tout ça. Ampoule jeune. Waingne! Parce qu’elle semble résister avec plus de ténacité que l’autre à l’attraction terrestre, voilà… Mais il y a des jeunesses molles et des vieillards énergiques. Waingne! C’est pas l’ampoule qui résiste à l’attraction terrestre, c’est la prise de courant…

Il passa peut-être par Lagrange, Newton ou Einstein. Le libertinage de ses spéculations semblait se faire d’une façon de plus en plus autonome et de moins en moins consciente.

Il écoutait le silence: c’était l’assourdissant tic-tac tic-tac tic-tac d’un petit réveille-matin. Lui, il se sentait de plus en plus immobilisé près de la porte. Il parcourut discrètement, du coin de l’oeil, le cadran de sa montre. Les aiguilles de la patate indiquaient une heure trente-deux; l’aiguille des secondes tournait, plus explicite que jamais. Les secondes passaient, passaient, trépassaient. Un léger pivotement de la tête, et surtout des yeux. Loulou dormait. Retour au cadran d’la patate: l’aiguille tournait. Le silence: tic-tac tic-tac tic-tac. Il dirigea lentement sa main vers le commutateur: ne pas éveiller Loulou. Tic-tac tic-tac tic-tac tic-tac. L’index appuya sur le bouton du commutateur. Clap! Le silence sembla se taire. La noirceur l’acheva. Il n’entendit plus rien. La pénombre l’éveilla un peu. Il osa brusquement la main vers la poignée de la porte. Le silence reprenait son tic-tac. Pas de répit. La poignée. Un grincement.

Il marche depuis une heure. Par moments, il frissonne. Loulou: une image qui émerge dans sa tête, persistante et floue, qui émerge entre deux grouillements d’images et de réminiscences imprécises, persistantes. Loulou. La chaise, la table, le lavabo. Les ampoules. La Catherine. Le soir même, vers sept heures, il était allé marcher sur la Catherine, après les bines de l’Eldorado. Catherine rotait déjà son White Christmas, le vessait, le barguinait, le cantiquait, elle pissait partout son rimel de néon. Les cash pis le p’tit change sonnaient à toute volée, etc., etc., etc.

Il marche depuis longtemps. Par moments, il frissonne. Son corps tressaille un court instant. Une avalanche d’images se déclenche dans sa tête. Le frisson cesse; le délire dure et s’apaise. Puis ça recommence. Sueurs de pieds refroidies. Frissonnements.

«L’aube tarde à venir, et dans le bouge étroit
Des ombres crucifiées agonisent aux parois.»

Par ici, Cendrars, c’est Noël à Montréal. Ça pette, ça braille, ça râle. T’aurais dû voir la Catherine hier soir. A jouissait. Une vraie guidoune. Y manquait rien que les dentelles au cul. Mon vieux Cendrars, faudrait vraiment pas qu’elle chante durant l’éternité.

«… L’aube a glissé, froide comme un suaire…»

Il marche sur le ventre refroidi de la Catherine. Elle s’étale, morne et démaquillée, de l’est à l’ouest, dans sa sueur figée. Tiquée, han, ma grosse? Aigres en bile, chers en sperme, tes petits Noëls aux films cochons. Tes saintes réjouissances, tu peux t’les renvaginer. Pis l’Jésus d’cire. Le sauveur du monde, y pisse au lit, y pisse partout. Par ici, bain d’pipi, douche de pipi, chapelets, missels sauce pipi: 20% de rabais; avec la taxe, ça fait – attends un peu – ça fait… pipi au lit, pipi partout, avec garantie pour quarante jours et quarante nuits, déluge de pipi, sauve qui peut, chacun pour soi choit sur l’autre.

Zing zing, one two.
A dit: «Woup, Farnantine,
La bizoune à Raspoutine,
Barguine-moé ton violon,
L’pays marche à reculons!»
Zing zing two three!

Un poignard valse dans mon crâne. C’est un glaçon de joie qui perce mon rhume de cerveau. C’est une croix. Elle se déforme. Elle fond. Elle rétrécit. Elle se fige. C’est un serpent emprisonné. Un signe de piastre. And on Earth, peace. Minuit Chrétien, c’est l’heure du crime: l’homme, le dollar à la main, touiste et dérape sur l’escalator de son destin, etc. And on Earth, peace – à rabais, beau, bon, pas cher. Ils ont l’air cave. Non, ils ont l’air tragique. Ils ont l’air comique. Ils ont les pieds meurtris. Ils sont hypnotisés. Ils sont harassés. Ils suent. Ils s’écorchent l’oeil partout. Ils ont mal à l’âme. Elle barbotte dans l’alcool. Dans l’estomac. Dans les talons. Avec la taxe, ça fait…

C’est pas un moulage de cire, un pipi de l’esprit-saint, un leurre solennel que Loulou couve dans son sein. C’est le fruit de la synthèse d’un ovule et d’un spermatozoïde. Waingne. Ça n’attend ni l’opération du saint-esprit, ni le plein-emploi. Ça n’attend pas sagement l’autobus en rang d’oignons gelés. Ça fonce tête première l’un dans l’autre, ça s’étreint, ça s’aime, c’est bohème à s’en faire la morale. Neuf mois plus tard, ça s’est concerté pour demander à manger. Des vrais gavions. Y faut l’vouâr pour le crouâre – comme pour les grandes ventes d’écoulement.

Minuit Chrétien. Décompte. Le chiffre d’affaires d’Eaton’s, de Morgan’s, de Dupuis, de Patente et compagnie, de Bébelle incorporé. La messe de minuit – envouèye, marche. Perds pas ton ticket. Les malengueuleries familiales. Les ruelles du bas de la ville où aucun sapin ne viendra traîner après le premier janvier. Y a des bonnes âmes qui se font appeler «les amis des pauvres». Une fois par année, y rapaillent une gagne de cassés pis y leû payent un festin-de-jouâ. Ô sâ-înte nuit. Y les aiment-tu donc. Y les aiment comme y sont. Y les aiment cassés. Faibles. Pitoyables. Y les aiment ignorants. Carencés. Aliénés. Y les aiment étouffés. Viciés. Vicieux. Y les aiment comme ça. La pauvreté est une nécessité sociale. Une fois par année, ça nous permet de nous retaper la conscience.

Les cassés. Culpabilisés. Conditionnés à la petitesse morale. Aimez-les comme y sont, y resteront comme y sont. La tactique, c’est d’leû calfeutrer l’estomac à intervalles réguliers. Le bourrage de crâne fait le reste. Crânes bourrés, dindes farcies, joyeux Noël.

Ils ont besoin d’amour? Non. Ils ont besoin d’aimer. Et ils haïssent. Ils se haïssent eux-mêmes. S’aimer eux-mêmes comme ils sont, c’est du masochisme. Quand ils s’aimeront eux-mêmes pour de vrai, ils auront honte. Ils feront la révolution. Ils se voudront autres.

Les cassés. Même pas l’instinct sûr des bêtes.

Incarcérés pour vols et viols. Remis dans le droit chemin de Saint-Vincent-de-Paul. Mets-toé à genoux. Baise-moé à main. Baise-moé le cul. Plaide coupable, ça coûte pas une cenne. T’as péché par ivrognerie. T’as péché par impureté. T’as péché par icitte, pis t’as péché par là. Mon frére en Crisse. Le bonyeu vâ t’pardonner tes zaveuglements. Nouzô’t, on vâ t’les conserver. Mange pis fârme ta yeule.

Dernière cène, brochée sur tapis, latest style: $9.95; avec la taxe, ça fait… éponge au pipi.

Hypnotisés. Donne in bôbec pis va t’coucher pitou, prie le p’tit Jésus d’réchauffer l’pére noël – y pourrait avouèr frette à souèr, dors, goudou goudou. Y faut qu’tu souèyes fin fin, sans ça, le P’tit Jésus va dire au pére noël de pas v’nir te ouèr. T’à l’heure, y va descend’ par la cheminée pis pa pi po pi, etc., etc., etc.

– C’est pas une cheminée qu’on a, c’est un tuyau d’poêle.
– Le pére noël, y peut tout faire. Y est magicien.
– Comme le bon Dieu?
– Comme le bon Dieu. Dors, goudou gou…
– Comme ça, y a deux bons Dieux?
– Ben non, vouèyons! Dors, g…
– T’as dit que…
– Tais-toé pis dors! Goudou goudou!

– C’t’enfant-là, y a ben qu’trop d’imagination. Y pose toujours des questions nounounes.

Avec la taxe, ça fait…

Sur la Catherine, un panneau-réclame attire l’attention. A droite d’une colombe blanche et majestueuse, en exergue: «…And on earth, peace.» A droite, en bas, c’est signé: Royal Bank. Et pendant ce temps, comme dit la chanson, le pathos éjacule dans les cash.

Lui, c’est l’aube, et il marche sur la Catherine. Par moments, il frissonne. Bromo-quinine – pilule verte. Il est n’importe quoi. Moi, toi, lui. Une obstination fortuite, insolite, incohérente. Il serait risible de dire qu’il est plus rien. Mais qu’est-il? Fringale, fatigue, douleurs, sueurs de pieds refroidies, envies de tuer, envies. Une charade fantasque.

Une charade d’envies, d’impulsions irrationnelles. Un animal blessé qui désespère de trouver exactement où se situe la blessure. Quelle en est la provenance. C’est le récit de l’homme blessé à l’esprit et au corps qu’il faut écrire. Sans arrières-pensées littéraires, sans visées esthétiques. La révolte, c’est la réaction scabreuse de l’homme quand il prend conscience de sa situation de cobaye, sans même l’attention qu’on prête à ce dernier. On ne néglige pas et on ne mutile pas impunément l’humain. Un jour ou l’autre, il nous recrache nos verbiages en plein visage. En attendant…

La Royal Bank. Il s’est arrêté devant. Il ne la voit peut-être pas, mais il la sent. Tout le fragile humain s’est broyé dans sa tête.

Sur un lit, une fille enceinte. Les toits et les murs se sont effondrés. Il neige. Le lit avec la fille dedans est en plein milieu de la Catherine. La fille y dort. Il est sept heures du soir. Les autos klaxonnent, foncent dans les ruines. Les hypnotisés se ruent sur les vitrines, les défoncent, pillent, massacrent. La hideur se donne des ailes d’anges de carton. C’est le rite, l’incantation du dollar, la masturbation collective, la joie vicieuse des cantiques, les cloches du-û hameau, du nanane, du libertinage des chapelets.

L’imagination multiplie le mal à l’infini; d’abord elle semble couver les impressions. La coquille du crâne se brise. Une écaille entame la cervelle. Les phantasmes germent comme des champignons. On patauge en pleine omelette. Plus l’omelette tremble, plus les pensées glissent et butent, saoules et incohérentes, les phantasmes épuisent. La volonté est inutilisable, infirme.

L’imagination attendait, passive. Un coup dur. Un autre. On s’énerve. On se fatigue. L’avenir devient rebutant, menaçant. Des phobies nous triturent le ventre. Tout l’être se crispe. La conscience est submergée.

Une courte accalmie, parfois… Demain, tout à l’heure, dans un instant, déjà tout recommence. Casser des vitrines, des yeules, n’importe quoi. Pire que de tout haïr, tout nous ahurit. Tout le mal est là. La réalité ne nous façonne plus, elle nous défigure.

Alléluia Royal Bank pour tes colombes de Claude Néon, pour tes saintes images d’Elizabeth, vertes, roses, bleues, cananéennes; alléluia pour tes hommes de bonne volonté, ceux de la Brink’s, ceux-là aussi qui calculent derrière tes guichets, qui ternissent leur oeil et leur propre richesse; alléluia pour la caisse de noël, pour les chômeurs toasts and beans, and vômissures de rage à taverne, and bonjour m’sieur l’curé, and toujours pas d’travail, and c’est du sentimentalisme ton affaire, and mon vieux tu perds ton temps, and on écrit pas comme ça, and on attend pour écrire, and on attend la permission, and vous m’faites chier pis ch’continue gagne d’égossés, alléluia Royal Bank pour tes coffres-forts viragos vierges sans joie ni foi, pour ta confrérie instruite, ceux qui savent compter plus loin que 100 000, ceux qui disent moâ, ceux qui disent we, me, I and So What, ceux qui mettent des «S» à «salaire», ceux qui mettent des «H» à amour, ceux qui ont mis la hache dedans, ceux qui m’ont fait charrier, ceux qui m’ont fait sacrer; alléluia White Christmas en Floride avec la secrétaire, she’s so French – plante-la pour la plus grande gloire du Canada, de sa goderie et de nos bonyeuseries, des trusts, des vices à cinq cennes, de nos perversités à rabais; alléluia pour les indulgences salvatrices de nos frustrations d’invertis, alléluia pour la fraternité humaine in the Life Insurance Company, and on earth peace – tu veux rire! – alléluia pour nos hernies, nos conscrits, nos pendus, nos prisonniers, nos aliénés, nos curés, nos imbéciles, nos stoûles, peace. At any price. Avec la taxe, ça fait…

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Dialogue des Serveuses

La première serveuse:  Ma concierge voudrait qu’j’aye une bonne pour garder le ti-pitte…  Ch’peux pas payer pour une bonne…

La deuxième serveuse: C’est sûr, c’est cher…

La première: Pis pas rien qu’ça… Ma concierge s’imagine qu’est toujours fatiguée, à cause que le ti-pitte y fait du bruit quand chus pas là…  A dit qu’a finit pus d’faire le ménage toute la journée pis qu’ça la fatigue d’entendre Michel. Mais ça s’peut pas, parce que Michel y va à l’école… Ch’pense qu’alle a d’la mauvaise volonté… Qu’est-ce que vous en pensez, vous, madame?…

La deuxième serveuse: Aah… Y a du monde de même… Moé, chus d’vot’ bord…

La première: Hier, quand chus rentrée, a m’a dit, chus fatiguée, moé, d’toujours faire le ménage… J’voés pas pourquoi qu’a chiale, c’est son métier, faire le ménage: est concierge… A m’a donné l’diable pour rien… Ça fait que j’y ai dit que moé aussi j’en avais une, une journée dans l’corps, pis une maudite, d’in reins pis d’in pattes…

La deuxième serveuse: Pis qu’est-ce qu’alle a dit?…

La première: Alle a chiâlé encore… Moé, si faut que j’me mette à payer une bonne, j’arriverai pus, han?…

La deuxième serveuse: Waingne…

(L’une des serveuses est grosse, forte, vigoureuse, cheveux courts et raides et noirs. Yeux bleus plus gerçures aux jointures des doigts. Gerçures: petits sillons rougissants et squames de peau blanches et sèches quand les mains ne sont pas dans l’eau savonneuse de la vaisselle.  Quand les mains sont dans l’eau, les squames ramollissent et les sillons se rouvrent mollement.  Les mains des serveuses sont, en général, bronzées. Elles sont toujours ridées, rêches, consistantes et maternelles, à croire que le fait de laver de la vaisselle leur invente des enfants.

L’autre serveuse a les cheveux teints noirs et la voix de la trentaine, douce, tendre, soumise et maternelle.  Taille et poitrine de jeune mère, jupe noire et blouse blanche, bras bruns et charnus, sans graisse molle. Elle se tient derrière le comptoir, les mains dans l’eau grise de la vaisselle. Le déjeûner coûte 29 cennes: deux oeufs, deux tôsses, un café.)

*

Dialogue des Gerçures

La première serveuse:  Avez-vous des gerçures, madame?…

La deuxième serveuse:  Oui, r’garde… C’est le savon…

La première:  Mon Dieu!… J’me demande quelle sorte de savon y faudrait prendre…

La deuxième serveuse:  Qu’est-ce tu veux, avec des gants d’caoutchouc, la vaisselle c’est pas faisable, ça va trop mal…

La première:  Ça c’est vrai, han?

(La deuxième serveuse a montré ses gerçures aux jointures comme on montre une bague de fiançailles, en tapotant l’air avec ses doigts.)

*

Dialogue de la Serveuse
et du Client souffrant d’un Mal de Tête

(Le client a de la peine pour la serveuse, à cause de ses gerçures de fiançailles, mais y a trop mal à tête pour le dire, y en a pas envie. Pis à part ça, les serveuses s’en font pas trop avec leurs gerçures. Elles en parlent comme un policier parle d’un délinquant abattu.)

Le client: Deux Madelons s’y vous plaît…

La serveuse: Deux sacs?

Le client: Non…  Deux pilules…

La serveuse: Vous avez pas digéré vot’ déjeûner?…

Le client: Oui, oui…  J’ai digéré… Y était bon, vot’ déjeûner (Y faut toujours dire pourquoi on fait ci, pis pourquoi on fait ça.)… C’est mes bines d’hier que j’digère pas…

*

Dialogue de l’Intellectuel Nationaliste
et de la Serveuse

La serveuse: J’vous apporte la facture, monsieur…

L’intellectuel nationaliste: Ma-de-moi-sel-le!

La serveuse (elle revient vers la table):  Oui, monsieur…

L’intel-natio: Ma-de-moi-sel-le…  Humm… (Il prend une intonation du dimanche et relève la tête avec solennité.) C’est en tant que Canadien-français que je m’adresse à vous. Voici…  Pourriez-vous, à l’avenir, dire “addition” et non “facture”?  “Facture” est un anglizis-me… (Il la regarde avec bonté et douce condescendance.)

La serveuse: Bien, monsieur…

(La serveuse lui apporte la facture.)

La serveuse: Voici l’addition, monsieur…

(L’intel-natio quitte le restaurant en laissant un pourboire de cinquante cennes.)

La serveuse à une autre serveuse: … Cinquante cennes…  «Addition», ça paye… Y a du foin, c’gars-là…

L’autre serveuse: Hummm…

La serveuse: … Pour qui tu votes, toé?…

L’autre serveuse: Moé?… J’ai pas de temps à perdre!… (Elle se tourne vers la cuisine.) Deux ord’ de tôsses! (Elle se retourne vers la serveuse à la facture.) Pour qui qu’ça s’prend, c’monde-là?  Moé, à ta place, j’l’aurais mis à sa place!…

La serveuse: Oui, mais y a tipé, l’gars…

La deuxième serveuse: Waingne…

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Le Clou

Vient toujours un temps où on a besoin des autres. C’est comme ça. Un clou dans le cou. Une douleur purulente. Et on conscrit le monde entier. Y viennent chez moi. J’les r’tiens dans ma chambre pour parler. Pour dire n’importe quoi, pour parler. Sont là.

Je ressemble à Mame Chose qui fait son lavage le lundi, quand y vente, quand y fait soleil. Avec mon foulard saumon autour de la tête. Le pansement humide coule dans mon cou, ça humecte ma chemise verte.

Sont là. La femme d’André fait le ménage. Ma taie d’oreiller est jaune de crasse, d’onguent. Le même onguent qu’j’employais y a un an pour anéantir un autre clou que j’avais, celui-là, en plein front. L’onguent que j’applique sur mon clou colle à taie d’oreiller parce que j’ai pas de diachylon, ni de ouate, ni rien, plus une cenne, plus une maudite, un peu de tabac, oui c’est vrai, un peu de tabac blond au fond d’un paquet bleu, au fond d’un paquet mou…

Quand Pierre est venu sonner, à matin, je me suis levé, cou bandé, raide comme une barre de fer, j’ai regardé l’heure au cadran. Y était huit heures trente du matin. J’ai pensé qu’il était huit heures trente du soir.

Sacre! J’me sus dit sac! J’ai dormi au moins quinze heures d’affilée, c’est ça que j’ai tout de suite pensé. Tout de suite j’me sus senti reposé de la tête aux épaules. Le clou bloquait la sensation de repos au niveau du cou, mais je me sentais vidé de mon sommeil. Absorbé, le sommeil, bu par le réveille-matin, par les aiguilles, la petite, la grosse, qui pompent la fatigue de tic-tac en tic-tac.

Chus allé ouvrir. Pierre est entré. Avec lui, y avait un jeune collégien très sain de corps, musclé, bronzé, croyant, sportif.

Tout d’un coup j’me sus senti vieilli, maladif, raté.

J’ai refermé la porte sur nous trois. On a besoin du monde. De toutes sortes de mondes. Pierre a dit qu’est-ce que t’as? J’ai dit que j’avais un capable de clou dans le cou.

D’l’eau chaude avec du citron pis du sel. Une autre recette. J’les ai toutes essayées. Toutes. Le citron! Le sel! Le javex concentré aussi! Mais pas Monsieur Net, non, ni l’acide sulfurique, j’en ai pas! Tous mes contenants sont en plastique!… J’ai essayé l’aiguille… J’ai essayé le coup d’poing su’a table… La rage, aussi… Pis l’onguent… Pis ch’sais pus… Mais y est plein de bonne volonté, Pierre. Faut pas le contrarier. J’ai fait bouillir de l’eau. J’ai mis du citron. J’ai mis du sel. J’ai brassé. Pierre a pris une débarbouillette. L’a saucée dans l’eau chaude. Y a rajouté l’javex concentré. Une odeur de propreté qui commence à me tomber sur le coeur. Pierre prenait des airs de chirurgien.

Faisait sombre. De ce temps-ci, mes ampoules électriques brûlent une après l’autre. Y m’en reste trois. J’les ménage.

Y faisait sombre pis j’avais chaud.

– Penche ta tête pis tiens-toé!

J’ai penché ma tête. J’ai accoté ma tempe su’l dossier de ma chaise chromée, j’ai poigné la table à deux mains. Envouèye! Mets-la, ta débarbouillette! Pas peur! Chus pas une femelle!

Ç’a chauffé. J’ai grogné. On a besoin des autres. Un clou. Rien qu’un clou pis l’orgueil se décloue comme une vieille planche de clôture. Tout le monde passe par l’ouverture, y s’chamaillent toute la gagne pour entrer. La femme d’André fait le ménage, passe le balai. Pierre me triture le clou. J’dis colisse pis crisse, pis le collégien s’pince le nez. On a besoin des autres. Pierre est parti. J’ai mis d’autres compresses.

Le collégien a suivi Pierre, la tête haute, la queue basse, sûr de lui. L’eau bouillante, ça pissait dans mon cou, dans mes sandales, pis la poussière du prélart se diluait dans l’eau salée, dans le citron, dans l’eau qui tiédissait en touchant le prélart frais.

Ça me coule entre les lèvres. J’ai craché sur mon réveille-matin. J’avais peur d’avaler des microbes. On a besoin des autres. Y vous torturent le cou! Y d’y prennent plaisir! Y ont besoin des clous des autres. On a besoin des clous pour avoir besoin des autres. Mais les microbes, autant que possible, j’les crache. On garde toujours un peu d’orgueil. C’est les petits qui finissent par manger les coups. Qu’y pâtissent pour les autres. L’eau pisse partout. La femme d’André fait le ménage. Une journée qui s’achève, qui va tomber tout nue dans l’automne qui fouine déjà dans mon écoeurement. Y est neuf heures et dix mais y fait encore clair… C’tu drôle, ça!

– Ben non, l’cave!

C’est Pierre qui est revenu. Y m’a dit ça que j’étais barzagne. Y est neuf heures et dix du matin. Tu détraques, y m’a dit!

J’détraque! J’détraque! Voudrais ben t’vouèr à ma place! J’ai du pus de clou dans la cervelle, on dirait… Pus rien de vrai… Y a pus rien d’important… Quand chus pas malade, faut que j’dorme huit heures au moins pour me reposer… Là, chus moitié mort pis j’dors même pas trois heures pis j’me r’trouve eurposé comme si j’en avais dormies quinze!… C’est comme ça, l’affaire!… Un clou, pis la notion du temps s’dérentche!… J’ai le cou clouté… Pis la notion!… Pis ça me résonne jusque dans mon tympan dans l’oreille gauche… J’ai peur qu’la trompe d’Eustache se salisse pis s’mette à me planter des clous dans l’oreille! Pis dans cervelle! Dans cervelle! T’as pas pensé à ça, la cervelle!… Ça pense à rien… Ça pense rien qu’à péser su’l clou pour voir si quoi?… pour voir si y est là?!… Ai pas peur, y est là!… Je l’sais!… Pis si la trompe d’Eustache s’met à me planter des clous dans l’crâne, han?!… Des clous en-dedans comme des petites lampes achalantes, ou ben comme des spotes pleins de fumée comme sur la Maine!… Si ça perce l’os d’la caboche, han?!… Ça va faire des petits vitraux rouges, des jaunes, pis des verts… Comme les vitraux de la coupole de l’Oratoire Saint-Joseph… Après ça, vous allez venir visiter mon crâne à Saint-Jean de Dieu, pis vous allez trouver ça drôle. Vous allez venir faire des pèlerinages… Tous les Canadiens-français ont la manie des pèlerinages… Vous allez dire, en parlant d’moé, que y en a qui finissent mal, han!… Pis là, vous allez vous faire la morale… Tout le monde, par che-nous, ont la manie de la morale!… Pis après ça, les anticléricaux vont dire qu’chus in saint… Tout le monde a la manie de la canonisation… Y en a même qui vont dire que c’est un prodige, ça, une tête à spotes comme la mienne… Y vont dire qu’chus in miraculé d’Saint-André!… Avec ma grosse tête en tocape d’oratoire!… Y en a pas un maudit qui va penser à m’éteindre pour me laisser dormir… Y vont venir chercher mon argent pis mes livres. Y vont entrer chez moi par la fenêtre. Y vont voler mes trois dernières ampoules… Y vont me chercher pour me battre. Mais y vont vouèr que j’ai perdu a tête. C’est là qu’y vont taper encore plus fort, ça va les enrager d’avoir perdu ma tête. Y vont faire des ex-votos avec mes poèmes pour me faire chier… Y vont publier ma photo-passeport avec «ouaneteude» dessus!… Y voudront pus l’dire qu’c’est ma tête qui’est à Saint-Jean de Dieu. ‘Vont être jaloux. Y vont dire que j’ai caché ma tête n’importe où juste pour faire parler d’moé. Y vont voulouèr me dénigrer. Y vont faire passer ma tête à spotes pour une tête fabriquée. C’est parce qu’y crouèyent pas aux miracles. C’est toute une gagne d’anticléricaux!… Ma tête à clous, c’est à moé, pis ch’ferai ben c’que j’veux avec!… Mangez d’la marde!

On a besoin des autres, maudit trou d’cul! La ligne Dew, ça c’est André, le mari de sa femme, qui me dit ça, que la ligne Dew c’est plein de missiles qui vont partir… Si les Chinois, y…

Y a d’l’instruction, André. Y va faire sa psychologie à Montréal dans un an. Les Américains, mon vieux, si y font une guerre, ça sera pas drôle…

Ch’te cré!

Haaaâââ! C’est bouillant tabarnac! Ça, c’est Pierre! T’aurais pus me l’dire avant d’m’étamper ça dans l’cou! Crisse! Écoute!

Citron dans l’eau bouillante, sel dans l’eau bouillante, ch’connais toute l’affaire. Brasse, ding dang, avec la cuiller dans le p’tit bol de vitre jaunâtre, jaunâtre à cause du citron dans l’eau. Débarbouillette fumante. Sueurs dans le cou. Les Américains. La ligne Dew. Les champignons, ronron petit patapon, la débarbouillette, mon clou, on a besoin des autres.

Crrr crrr! Pierre pousse sur le clou, presse le clou entre ses deux pouces. Faut qu’ça sorte, le pus, faut qu’ça sorte. Ça craque comme quand on écrase une sauterelle. Pis ça sort. De peine pis d’misère. Ça sort par petites gouttes. Pufa! Ti-Pierre a reçu un calvasse de p’tit missile de pus dans l’coin d’l’oeil gauche.

– Crisse! On voué rien! On l’voué pas ton maudit clou!

Moé non plus, je l’voué pas mon maudit clou! Mais la différence, c’est qu’moé ch’prends pas plaisir à torturer les autres avec des airs de chirurgien diplômé.

C’est à cause des cheveux qu’on le voit pas ton maudit clou, c’est à cause que t’as les cheveux trop longs. Attends un peu.

Non! Pas mes ciseaux! Non! Non! Y coupent pas!

Ça fait rien. On va essayer pareil. Faut ben qu’on fasse quèq’chose.

Oui, mais fais pas le cave!

Les ciseaux dans l’eau bouillante, Pierre, y vient de les mettre.

Penses-tu que ça va marcher?

Tu vas ouèr…

Attention aux cheveux dans le clou!

Oui, oui, j’ai mis un kleenex dans le trou du clou… Pas d’danger…

On a besoin des autres. Pars pas, André. Attends un peu. On va jaser.

Non. Faut que j’parte. Je travaille demain matin. Tu viens, Monique? Salut…

J’ai besoin d’parler, tabouère, j’ai besoin d’parler. Rien que ça.

On a besoin des autres, ça vous lâche pas, tant qu’y a un clou ou une ligne Dew qui fait une espèce de clôture de piquets dans le Grand Nord, une clôture comme des fanons de baleines, le mur des Champignons, des gros cure-dents, des éruptions cutanées, de la chienne au cul, de la misère.

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Un Coup Mort, Tu t’en Sacres

Le monde est tout décolissé.

On perd pas son temps. C’est le temps qui nous perd.

Quand y venaient chez moé, j’m’étendais où c’était possible de m’étendre pis j’les écoutais. Je retrouvais un peu d’appétit. Eugénio m’apportait un pain. Blanc, évidemment. Moé, c’est le brun que je mange d’habitude. Mais je mangeais le blanc quand même. J’aurais bien aimé lui dire, à Eugénio, que je le mangeais par amitié, son pain. Mais c’était surtout parce que j’avais faim. Y parlaient. Y parlaient de tout. Moé, j’les écoutais parler de rien. J’écoutais mal, mais du monde, comme ça, qui vient chez moé pour placotter, ça me donne de l’appétit. C’est la nounounerie humaine qui me l’fait perdre, l’appétit. Jamais des tchommes qui viennent placotter.

Denyse a lu dans les lignes de ma main. Qu’est-ce qu’elle disait, donc? M’en rappelle pas. Je sais qu’elle s’imagine que tout est dans les lignes de la main, mon destin, ma vie, ma chiennerie, ma femme, mes clous, mes amours, ma marde. Chus sûr, ben sûr, qu’elle a mal lu, j’ai les mains ben qu’trop sales. Rien de vrai. C’est pour ça que je veux pas me rappeler qu’elle m’a dit que j’aurais jamais de réussite financière comme qu’a dit. Pis alle a parlé de femmes aussi, de femmes à propos d’moé dans mon destin, ça non plus je veux pas m’en rappeler. Tout c’te monde-là, c’est peut-être parce que c’est superstitieux pas mal trop, je l’sais pas, y finissent par vous jeter un mauvais sort, pis y s’en aperçoivent pas qu’y vous fourrent. Y en a d’autres qui font l’exprès pour vous fourrer, ceux-là c’est pas d’leur faute, je le sais ben, c’est parce que ça fait plus longtemps qu’moé qu’y savent que la vie c’est une cochonnerie. Je leur reproche rien. Mais dès que j’ai un peu d’argent, j’m’achète Le Prince de Machiavel. Pis j’vas peut-être me mettre au karaté aussi.

J’étais en train d’écrire c’qui précède. Luce, l’amie de Diane, s’est levée pour partir. J’m’en suis même pas aperçu. Quand alle a ouvert la porte, j’ai entendu, j’me sus r’tourné. J’y ai dit, c’est drôle, toé tu fais pas beaucoup de bruit… A m’a dit non, ça sert à rien. C’est du vrai silence en peau c’te fille-là.

La vie nous harcèle. Moé ch’fume. Diane se saoule pis s’pâme devant les hommes galants, comme qu’a dit. Moé, c’est la nounounerie humaine qui m’a fait perdre mon gros appétit d’avant. J’dors pus. Ça fait que chus allé caler une trentaine de draffes. J’avais rien qu’une piasse. M’en sus payé dix. Pis j’ai parlé de révolution avec trois vieux qui m’en ont payé une vingtaine. Là-dessus, j’en ai renversé deux, j’ai bu le reste pis chus sorti avec un mal de mer terrible, les murs en perdaient l’équilibre. C’est Serge qui m’a accroché au coin de Saint-Denis et Cherrier.

Y m’a dit, maudit cave, tu traversais la rue Saint-Denis les yeux fermés.

Des rues, on en traverse tous les jours. On finit par les traverser les yeux fermés. Y a pas de quoi écrire une tragédie. Mords-toé l’front.

Sur mon tchesteurfîlde, je dormais. Je pourrais pas vous raconter tout ce qui s’est passé.

Y en a au moins vingt qui sont passés au chevet de ma carcasse pâle. C’est Jeannine qui disait ça. Je voulais y passer les menottes qu’a m’a dit. J’me souviens qu’a s’tordait sur sa chaise chaque fois que je parlais. Yves est venu aussi. Y savait pas quoi faire. Y trouvait rien à dire, c’est ben normal. Moé j’étais trop paffe. J’me sentais même pas encombrant. J’ai rêvé un peu, j’ai rêvé que j’mangeais des oeufs pourris. Tout était sec dans mes rêves. Même quand Diane venait m’embrasser après avoir fait le tour des hommes galants. Diane m’a toujours fait penser à Woody Woodpecker. Faudrait pas qu’j’y dise. Alle a l’angoisse métaphysique facile.

André, lui, y est pas venu. Y est toujours découragé, c’est effrayant comme y a l’taquet bas. On s’est déjà paqueté l’beigne ensemble. Y peut pas travailler nulle part depuis qu’y a lancé son cocktail molotov sur une caserne. Y l’ont relâché. Mais c’est rien que pour le niaiser pis le faire chier. Chaque fois qu’y s’trouve une djobbe, la RCMP le fait slaquer.

C’était comme un vrai salon mortuaire, ma chambre. Y manquait rien que les cierges. J’en ai deux que Diane m’a donnés dans le temps. Quand je me péterai à fiolle avec une balle de .38, je les allumerai tous les deux avant de m’étendre sur le tchesteurfîlde. Faut-t’u être poseur, han? Mais de toutes façons, mon suicide, c’est pas pour demain. C’est pas si simple que ça, se suicider. D’abord, si je me trouve une djobbe, j’aurai pas le temps d’y penser. Pis pour le moment j’ai pas assez d’argent pour m’acheter un bing-bang. Me jeter devant un char? Ça risque de simplement me blesser. Pis ça doit faire mal. Le pont Jacques-Cartier? Chus trop fatigué. C’est l’automne. Y fait frette. J’ai pas envie de me rendre jusque là. Pis ch’sais nager. A dernière minute, l’envie pourrait me prendre de revenir à surface. Tout ce que j’attraperais, ça serait une pleurésie. J’ai pas envie de mourir d’une pleurésie. Ça serait trop cave. C’est une maladie qui se souègne, la pleurésie. Le gaz me donne des nausées. J’aime pas ça. Pis si je me tuais, ch’pourrais pus écrire. Pis ch’peux pas partir comme ça, sans le dire à mes tchommes. Y en a, là-dedans, qui me doivent des livres, pis moé j’leur doués du pain ou du café. Ça serait pas honnête.

Ça fait que pour le moment, pas de suicide possible. Ça serait péché.

Y a un cave qui m’a dit que la jeunesse était désabusée. C’est effrayant comme c’est pas vrai. Alle a jamais tant eu l’envie d’être heureuse, la jeunesse, c’est rien qu’ça qu’a cherche. Mais le monde est pas mal cochon. On dirait que chaque fois que le monde veut être bon, y en a d’autres qui sont assez trous d’cul pour les caler. A peut pas se faire à ça, la jeunesse. Pis à part ça, la jeunesse, ça existe pas. Y a des jeunes. Des plus jeunes pis des moins jeunes. Qui vont vieillir vite, à part ça. Les jeunes, c’est pas des bines. On peut pas dire «la jeunesse» comme on dit «un plat de bines».

C’est vrai qu’mes tchommes, y ont mon âge, y ont à peu près dix-neuf, vingt ans. Y sont cyniques par bouts, oui, pis après? Moé, ça me dérange pas. Un cynique, ça me met en confiance. C’est un gars qui s’en fait pus accrouère. On peut pas y passer un Québec.

On se défend comme on peut. On a rien. C’est pour ça qu’on fesse. C’est pour ça qu’on détruit un petit peu. Sans ça, c’est les autres qui vont nous détruire.

Moé, c’que j’veux, c’est mon bonheur. C’est pas l’diable possible, mais n’empêche que c’est rien que ça que je cherche. On l’trouve pas, c’est sûr, c’est parce qu’y existe pas, faut pas oublier que la thèse de l’absurde, c’est pas Camus qui l’a rédigée, ni moé, ni Saint André, c’est l’instinct de conservation.

C’est vrai que t’as beau vouloir celui des autres, leur bonheur, c’est toujours le tien que tu veux leur imposer, y en veulent pas. J’ai pas envie de me morfondre là-dessus. Je les comprends. C’est chacun son petit morceau de mort. Ton petit morceau de mort qui est même pas à toé. C’est les autres qui te le fourrent dans yeule.

Quand j’voés qu’y a vraiment pus rien à faire, je r’viens à ligne pis j’m’allume une cigarette.

Je voudrais rien attendre, mais tout vient. Les coups de cochon. Les joies. On se fait prendre au jeu. On se met à attendre quelque chose. Qui vient pas. Mais tout peut arriver. Mais rien arrive de ce qu’on attendait. Ça fait qu’on est sur la défensive. On est un peu cynique. On est un peu méchant. On devient dangereux. Presque autant que la vie. Mais on gagne pas. C’est elle qui gagne, la vie. On peut pas être aussi dangereux qu’elle, la vie, c’est impossible.

Voilà. J’ai voulu être méchant.

Méchant. C’est pas facile. C’est fatiquant. Y en a trop qui le sont. Etre le plus dur des durs. Essayez. Vous verrez.

La vie, c’est une cochonnerie.

Voyons, coco, t’as vingt ans, t’es jeune…

J’ai essayé d’être doux comme ta main, mon Bilou. J’en ai craqué de la tête au coeur.

Je voudrais ben pas chialer mais y a des fois qu’on a trop envie de le faire pour pouvoir se retenir.

On se défend comme on peut. Faut pas juger. Faut fesser, faut s’cacher, faut tuer, faut aller se jeter en bas du pont Jacques-Cartier. Si seulement on a le courage. Ou n’importe quoi. Lire Trotsky jusqu’au bout. Ça donne des envies, à lire ce gars-là, de refaire le monde, oui, mais sans t’arrêter, avec un fusil, jusqu’à temps que t’en rencontre un qui vise mieux qu’toé. Un coup mort, tu t’en sacres.

Y est surtout pas question de juger quelqu’un. Faut fesser à bonne place. Y a des misères humaines qui tuent comme la nounounerie des artisses ou des riches. Pauvre cave d’idéaliste qu’on est, des fois. Le monde, y veut pas changer, le chien! C’est toé qui changes. Le monde, y t’assomme.

Tu peux toujours jouer ta comédie pour te tailler, à coups d’épingles ou à coups de hache, une place au soleil, ça va dépendre, si t’es sournois, ça sera l’épingle, pis si t’es solide, ça sera la hache. L’épingle, c’est surtout pour les femmes.

Fais pas ton toffe. Tu gagneras pas. Tu vas te fatiguer pour rien. Essaye de vivre tous tes battements de coeur. Ça dure pas. Profites-en.

T’es rien. T’es rien et pis tout est ambigu. Peut-être que tout est trop clair.

Viens pas me demander des conseils.

Chus ton pire ennemi. Comme tout le monde.

Toute la vie, tu vas te battre. On va te frapper. Venge-toé. Ça sert à rien, les bons souvenirs. Ça sert à rien. C’qu’y faut, c’est de se souvenir des coups de cochon qu’on nous a faits. Pour pus qu’on nous refasse les mêmes.

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La Rencontre

– M’sieur, ça serâ pas trop vous demander…

(Y souffle. Avant de reprendre la parole, y va puiser une laborieuse chaudiérée de souffle, quelque part, par en-dedans.)

…Pour l’amour du bonyeu… (y souffle) dix cennes… yen qu’ça…

(Y souffle. Ses poumons sont noyés comme un carburateur de bazou poussif. Ça fait presque «glou-glou» quand y s’arrête pour r’prendre son respir.)

…dix cennes, pour l’amour du… bonyeu…

(La couleur du ciel: du trente-sous fondu. Je peux à peine lui donner dix cennes. Dix cennes à donner sous un ciel de laine mouillée, couleur de trente-sous fondu, figé dans l’aube. La vie, mon gros tas, c’est pas à rabais. Big séle, big djoke.)

…dix cennes, pour l’amour du… (y souffle) du saint bonyeu…

(Y se passe les mains caleuses, lourdes comme du bois franc, des mains d’argile craquelée, y se passe les mains sur ses deux bajoues de carton sablé, séché après l’averse, ses joues de carton-cactus, épineuses, barbues, sales, striées de filaments rouges et violets comme des filons de minerai, usées, ses joues, en-dessous de ses yeux bruns, sales et terrestres.)

…Yien qu’ça… dix cennes… moé, chus pauvre…

(Y souffle. Y va se dessouffler. Si y continue à parler. Y a pus de vent dans ses bons six pieds de graisse usée. Son ventre! J’en ai mal au mien comme on a mal au ventre quand on pense à une opération chirurgicale et qu’on s’identifie au patient, à l’opéré, quand mon ventre s’ouvre et saigne rien qu’à penser au ventre qui s’ouvre, tout palpitant, presqu’en larmes. Ventre de beurre. On finit tous par passer dans le beurre. Ça dépasse par-dessus la ceinture de carton fendillé, à mouétié cachée par un ourlet de pantalon pis un bourrelet d’peau. C’est dans cette levure de peau, quelque part entre la ceinture et la bouche, qu’y va chercher du vent avant d’émettre un son, une plainte, un besoin.)

…moé… (y souffle) j’veux pas vous insulter pis vous déranger… j’veux… j’veux avouèr dix cennes… han?… j’veux… moé…

(Y souffle, y dessouffle, y souffle, y dessouffle. Des joues mordues par le vice à sa petite misère. C’est tout mou partout. Y m’dépasse d’un bon deux pieds. Pis y a honte. Y a peur. Un grand gars. Une dégénérescence bipède. Y est fini. C’est mou partout. On dirait qu’y va tomber en panne d’air. Six pieds d’asthme, six pieds, six pieds d’puanteur. Y est pas vieux. C’est çartain. Mais y est usé comme un bazou déchromé, rouillé, néyé.)

…moé… moé… chus mouètié homme… mouètié femme (je comprends pas)… mouètié… mouètié homme… mouètié… mouètié femme (je comprends pas)… Yien qu’dix cennes… Parsque… Ch’peux pas travailler, moé… Voués-tu?… Chus pas normal…

(Y souffle. Y est pas normal, qu’y dit. Mouètié homme, mouètié femme… Hermaphrodite?… Ou ben y délire?… Comment savoir? Y ressouffle son engin à vapeur, son moteur à nicotine, sa baratte à bière. Y se passe lourdement les mains par en-dessous de son ventre, lentement, ses grosses mains. Comme si y avait quelque chose de précieux dans ses grosses mains, lentement, y se les passe comme des patènes. Ça fait comme des assiettes vides, ses mains, lentement, y se les passe par en-dessous de la bedaine. Là, y se tâte la fourche. Ça doit être la pelote, les gosses, j’devine un nid de morpions. «Mouètié homme… Mouètié femme…» Y répète ça. Y souffle. Y s’tâte la bedaine, y s’la caresse avec des mains qu’on dirait blessées, douloureuses, des mains gourdes, palottes, les rhumatismes… Y se tâte le ventre comme si y était enceint… J’ai envie de rire. Ça tient pas deboutte, son affaire… Mais y est trop pitoyable. Si je riais, c’est pas pour m’excuser, mais je rirais par nervosité. Y fait pitié. Pitié. Y dit mouètié homme en s’tâtant à pelote… Mouètié femme en s’tâtant la grosse bedaine qui bombe sous son chandail sale.)

…Chus pas normal, moé… (y souffle) Chus… Ch’peux pas travailler… C’est pour ça que j’veux dix cennes… (y souffle) Yien qu’ça… Si c’est pas trop vous demander… (y dessouffle, y grelotte, y fait «glou-glou» dans son gros cou).

J’ai hésité avant d’y donner l’dix cennes. J’avais une piasse et dix cennes dans ma poche. Quand t’es chômeur, t’es séraphin. Tu grattes. Tes cennes, ta barbe pis tes cheveux longs.

Mais d’y ai donné quand même. Ch’pensais qu’y timberait tout d’in coup, ouachhh… comme une bouse. Ça m’faisait peur. Y aurait fondu devant moé, y aurait roulé comme de la pâte à tarte su’l trottouèr, sous le ciel d’hiver, trente-sous fondu figé dans ma gorge asséchée par la laine du ciel de laine, touèles d’araignées empilées, empilées dans ma gorge écoeurée. Y m’aurait peut-être saisi mes jambes dans ses grosses mains mourantes, sales, collantes comme du papier à mouches… Y m’aurait marqué à tout jamais du sceau de la Crasse. Je veux pas. Y me reste des p’tites chances de bonheur. Dans le fond, y en reste toujours un peu.

D’y ai donné l’dix cennes. Mais qu’y revienne pas, non, qu’y revienne pas. Que je le revouèye pus! Jamâ!

Y m’a pris mes mains dans ses mains avant de partir. Je sais qu’on se ressemble. C’est une question de temps.

On pourrit. C’est pas long.

Pourquoi qu’on se démène de même de tous bords tous côtés, qu’on arrive pus à dormir la nuit, qu’on attend d’être cassé en deux avant de s’étendre sur le sofa, pourquoi qu’on vit de même, pourquoi qu’on quête l’assurance-chômage, la queue pendante, la honte au boutte, réponds, tabarnac! Réponds! Réponds, mal rasé! Maudit naïf! Maudit nono! Réponds! Fais comme tout l’monde! Dis n’importe quoi!

N’importe quoi!
N’importe quoi…
N’importe quoi…

Y m’a lâché à main. Y était temps. J’aurais pas pu l’embrasser. Je dois pas être le premier à avoir envie de vomir rien qu’en voyant le trognon de six pieds mangé par en-dedans, bouché par les deux bouttes, les poumons obstrués.

Y se fait donner dix cennes… Y se traîne devant moi… Y dit merci (y souffle)… Merci… Y s’en va en se dessoufflant… Y va tomber comme une bouse… Des enfants de chienne… Des boeufs… A l’abattoir…

Y doit être habitué à se faire envoyer chier. Y m’écoeure. J’m’écoeure… M’en vas dormir, dormir en paix. Si cette nuit je peux.

(J’me sens chien. Y m’a écoeuré. J’aurais voulu le voir avec d’autres yeux, comme on dit, mais j’ai rien que les miens. Si je le revois, j’y donne une piasse. J’y montre mes poèmes. J’y montre le portrait de mon fils. J’y paye une bière. Mais ça l’empêchera pas de continuer à pourrir. Bouse en sursis… Bouse ambulante… Pourrir de la tête aux pieds. Comme un gros chat mort, mouillé, su’l bord du highway. Rongé.)

Le lecteur s’imagine sans doute que je vais écrire ici «qu’après-je-me-suis-réveillé». Non. J’ai remonté la rue Amherst jusque chez moi pis j’ai écrit ce texte pour arriver à dormir. Ç’a pas servi à grand chose.

Le bonhomme, je l’ai jamais revu.

Même pas en rêve.

Fin


© Copyright 1964, 2011, 2015 Hamilton-Lucas Sinclair (Loup Kibiloki, Jacques Renaud, Le Scribe), cliquer.

Jacques Renaud – ouvrages de fiction en ligne, des notes biographiques

Le Cassé de Jacques Renaud, des extraits de critiques (en progrès; ça s’améliore slôbotchô (très); salut les cousins, gros bizous les cousines: «slôbotchô», ça serait une assimilation vernaculaire de «slow but sure» – mais chus pas sûr).

Le Cassé de Jacques Renaud : le vrai, le faussé, le faux  —  Droit d’auteur.  Un exemple de violation du droit moral.  Le litige a duré 15 ans.  En fait, le litige a duré plus de 15 ans.  Et cet article est loin de tout couvrir.  A-t-on voulu détruire la carrière de l’auteur?  En tout cas, ça y ressemble.

And on Earth Peace, Le Cassé, le joual, Jacques Renaud  (Sur Jacques Renaud, l’époque du Cassé, le “joual”.)

Sorel : En 2012, on y censure Dieu et Edith Piaf. En 1971, on y censurait Le Cassé de Jacques Renaud…

Jadis, la liberté d’expression régnait dans ma ruelle, ou La ruelle invisible

Des oeuvres de fiction de Jacques Renaud qu’on trouve sur ce blog:

Le Crayon-feutre de ma tante a mis le feu, nouvelle.   —   L’Agonie d’un Chasseur, ou Les Métamorphoses du Ouatever, novella.  —  La Naissance d’un Sorcier, nouvelle.   —   C’est Der Fisch qui a détruit Die Mauer, nouvelle.   —   Émile Newspapp, Roi des Masses, novella.   —   Et Paix sur la Terre (And on Earth, Peace), nouvelle.   —   L’histoire du vieux pilote de brousse et de l’aspirant audacieux, conte  —  Le beau p’tit Paul, le nerd entêté, et les trois adultes qui disent pas la même chose, nouvelle  —  La chambre à louer, le nerd entêté, et les quinze règlements aplatis  —   La mésange, le nerd entêté, et l’érudit persiffleur    —    Jack le Canuck, chanson naïve pour Jack Kerouac,  poème, sort of  —    L’histoire de l’homme qui aimait la bière Molson et qui fut victime de trahison, conte

Loup Kibiloki ( Jacques Renaud ) :  La Petite Magicienne, nouvelle;  Héraclite, la Licorne et le Scribe, nouvelle.


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1 Response to Le Cassé de Jacques Renaud, novella

  1. Joshua B says:

    Il manque une section à votre transcription. Dans la version originale de 1964, il y a aussi une préface par André Major intitulée “entre cassés”. Cette préface n’a pas été publié dans les éditions suivantes (les unes avec le bandeau bleu). La note au début a aussi changé. Dans l’édition de 1964, la note dit : “Note : Tous le personnages de ces nouvelles ne sont pas entièrement fictifs et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou mortes ne serait pas due à une pur coïncidence. Tandis que dans l’édition de 1968 et après, la note dit simplement : “Note : Tous les personnages de ces nouvelles sont de plus en plus fictifs.”
    Votre transcription vient de quelle édition?
    Avez-vous déjà remarqué des différences entre ces deux éditions?
    J’attends votre réponse!!
    Joshua

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